Avantage, Algérie
Comment la France tente-t-elle de ménager les deux pays ? S'exprimant le 29 novembre devant un parterre de chefs d'entreprise réunis à la Chambre française de commerce et d'industrie du Maroc, l'ambassadeur de France, Charles Fries, a rassuré du mieux qu'il a pu ses interlocuteurs : "Le souhait des nouvelles autorités françaises d'améliorer notre relation avec l'Algérie (...) a pu en inquiéter certains au Maroc. Il faut toutefois bien comprendre que ce renforcement des liens voulu par Paris avec l'Algérie ne se traduira en aucun cas par un rééquilibrage au détriment du Maroc." Pour appuyer ses dires, un communiqué de l'Elysée publié la veille, à l'issue d'un entretien téléphonique entre François Hollande et Mohammed VI, annonçait la venue du chef de l'Etat français au royaume chérifien "au début de l'année 2013". Il soulignait aussi "la convergence de leurs vues", notamment sur le Sahel, et rappelait que le séminaire gouvernemental prévu avec Jean-Marc Ayrault mi-décembre "illustre le caractère exceptionnel de nos relations et la densité du dialogue politique bilatéral".Cette relation privilégiée agace Alger, qui réclame ouvertement, désormais, un "rééquilibrage", selon l'expression utilisée avec insistance par un proche du président Bouteflika. Un appel entendu par François Hollande, désireux de se démarquer de son prédécesseur et de ménager les deux frères ennemis. En déplacement à Malte début octobre pour une réunion des chefs d'Etat de la rive nord de la Méditerranée et du Maghreb, le président français a pris soin de s'entretenir avec le premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, comme avec le chef du gouvernement marocain, Abdelillah Benkirane. Ce dernier aurait alors lancé cette boutade rapportée au Monde par un témoin : "Entre nous, ça va tellement bien qu'on n'a rien à se dire !"La France entretient avec le Maroc, il est vrai, des relations sans équivalent dans le reste du Maghreb. L'indépendance du Maroc, acquise en 1956, a été bien moins douloureuse qu'avec l'Algérie. Les relations économiques, culturelles (le réseau scolaire français au Maroc est le premier du monde), sans parler du tourisme, y sont plus développées. De droite comme de gauche, les responsables politiques français ne vont-ils pas y passer leurs vacances ? Sitôt après sa défaite à l'élection présidentielle, c'est au Maroc que Nicolas Sarkozy ira se ressourcer en compagnie de son épouse, Carla Bruni, dans un palais prêté par le roi."Le génie marocain de l'accueil, ça, on ne sait pas faire !", s'exclamait récemment un diplomate algérien. L'ambassadeur d'Algérie en France, Missoum Sbih, s'y emploie cependant. Fin novembre, il a ainsi convié dans sa résidence de Neuilly Elisabeth Guigou et son époux Jean-Louis, invités d'honneur d'un dîner et décidément très courtisés. Mais, surtout, Paris appuie sans condition la position de Rabat en faveur d'un plan d'autonomie du Sahara occidental sous domination marocaine, pomme de discorde avec l'Algérie qui soutient pour sa part l'idée d'un référendum d'autodétermination et apporte son aide au Polisario.Une rivalité durable entre Alger et Rabat ? La tentative de rapprochement ébauchée entre l'Algérie et le Maroc à travers la visite, en janvier, du ministre des affaires étrangères marocain, Saad Eddine El Othmani - la première d'un chef de la diplomatie marocaine depuis 2003 -, a vite tourné court. "Les relations algéro-marocaines au plus bas", titrait le 12 novembre le site Internet d'information algérien Maghreb Emergent, en notant la brusque détérioration des relations après le discours prononcé le 6 novembre par Mohammed VI à l'occasion du 37e anniversaire de la "marche verte" de 1975 (au moment où le Maroc a annexé les territoires du Sahara). Le roi avait alors fustigé l'absence de "volonté sincère chez les autres parties, qui persistent dans leurs manigances et leurs stratagèmes obstructionnistes". Ce fut, en retour, une volée de bois vert, l'Algérie accusant le Maroc de favoriser une "infiltration massive" de la drogue sur son territoire et de vouloir privilégier, sur le Sahara, le statu quo.Depuis plus de trente-cinq ans, l'ancienne colonie espagnole continue de nourrir les antagonismes entre les deux pays. Un mur a même été érigé. "Le nationalisme d'Etat l'a emporté sur la solidarité des peuples qui était très forte. Maintenant, ils ne se connaissent même plus", constate l'historien Benjamin Stora. "Rien, historiquement, ne laissait prévoir une telle opposition", précise-t-il dans son livre Voyages en postcolonies (Stock, 2012), en citant notamment la conférence de Tanger de 1958 qui avait réuni l'Istiqlal marocain et le FLN algérien, les deux partis historiques nationaux. Mais très tôt après l'indépendance du Maroc, les incidents ont éclaté à propos du tracé des frontières coloniales. Ils aboutiront, en 1963, à la "guerre des sables" entre les deux pays. Vingt ans plus tard, en 1994, la frontière terrestre algéro-marocaine se ferme, après un attentat à Marrakech et la décision des autorités marocaines d'imposer un visa aux ressortissants d'Algérie, alors plongée en pleine guerre civile. Une frontière aujourd'hui toujours close et qui empêche l'Union du Maghreb arabe, futur marché commun régional, de se concrétiser.Isabelle Mandraud