Thursday, December 6, 2012

Copé doit-il vraiment avoir peur du groupe filloniste à l’Assemblée ?

Jean-François Copé en meeting à Loire-sur-Rhône, le 5 novembre 2012 (FAYOLLE PASCAL/SIPA)

François Fillon a mis sa menace à exécution : ses députés vont faire sécession de l’UMP à l’Assemblée nationale et créer leur propre groupe parlementaire. Une initiative symbolique... sauf s’ils décident de priver par la même occasion l’UMP d’une partie des fonds que lui verse l’Etat. Explications.

Les fillonistes ont tenu à maintenir la fiction de l’unité, qui a prévalu pendant toute la campagne interne : leur groupe à l’Assemblée nationale s’appellera le Rassemblement UMP, tout simplement. Et malgré son nom, il ne fait qu’alimenter la division.

Ce mardi, Jean-François Copé et François Fillon sont pourtant tombés d’accord sur une initiative destinée à rétablir la paix : un référendum auprès des militants UMP... pour leur demander si une nouvelle élection doit être organisée ! Et l’accord s’arrête là pour l’instant :

Jean-François Copé exige, en contrepartie, la dissolution du groupe filloniste à l’Assemblée nationale ; François Fillon, lui, exige que Jean-François Copé renonce à la présidence du parti et qu’une direction collégiale soit mise en place jusqu’au référendum, qui aurait lieu d’ici début 2013.

Non : créer un groupe parlementaire et créer un parti politique, ce n’est pas tout à fait la même chose.

L’initiative permettra surtout aux fillonistes de se compter – et d’embarrasser les copéistes. Pour l’instant, les députés se partagent en six groupes, réunis autour des principaux partis : on trouve donc à l’Assemblée les groupes socialiste, écologiste, radical de gauche, Front de Gauche, UMP, et un petit nouveau, le groupe centriste formé par l’UDI de Jean-Louis Borloo.

François Fillon va donc y ajouter un septième, en piochant dans les effectifs actuels de l’UMP à l’Assemblée. Le groupe UMP compte aujourd’hui 183 députés (et même 194, en y ajoutant onze députés affiliés au groupe, mais non encartés à l’UMP). Parmi eux, les fillonistes affirment être majoritaires.

Que pourra faire le groupe filloniste à l’Assemblée ? Surtout, agacer ses petits camarades du groupe UMP officiel, présidé par Christian Jacob, un des meilleurs amis de Jean-François Copé.

Grâce à leur groupe, notamment, les fillonistes disposeront de leur propre temps de parole dans l’hémicycle. Au risque du doublon : on imagine mal que le groupe UMP historique et le groupe rebelle votent différemment lors de l’examen des textes de la gauche...

Si l’initiative de François Fillon reste symbolique, c’est aussi parce que son groupe n’a pas forcément vocation à durer. L’ancien Premier ministre a en effet prévenu ce mardi que le Rassemblement UMP sera dissous si, comme il l’exige, le parti organise un nouveau vote pour son président.

Rien de plus facile. Voici les contraintes – et les absences de contraintes – prévues par le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, dans ses articles 19 à 23 :

pas de contrainte de calendrier : le règlement n’impose pas de créer son groupe au début de la mandature, c’est-à-dire après les élections législatives, et un groupe peut donc être constitué à n’importe quel moment ; seule contrainte, le nombre de députés : ils doivent être au moins quinze pour constituer un groupe – ce seuil a été abaissé pour permettre aux écologistes de se regrouper, mais François Fillon, qui revendique près de 140 fidèles à l’Assemblée nationale, n’aura aucun mal à atteindre ce minimum règlementaire ; la procédure est très simple : François Fillon n’a qu’à remettre une déclaration à Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, ainsi que la liste des députés concernés ; une fois la constitution du groupe annoncée au Journal officiel, le tour est joué.

C’est la menace que François Fillon brandit sans le dire : chaque député choisit en effet le parti à qui doit revenir la part de l’aide publique obtenue à la suite de son élection. Cela n’est pas directement lié à la création d’un groupe parlementaire.

Cette fois-ci, la procédure est un peu plus compliquée. Et le temps presse : les fillonistes n’ont plus que jusqu’à vendredi pour décider si, oui ou non, ils souhaitent aller aussi loin.

Pour se financer, un parti politique bénéficie d’une aide publique dont le montant est fixé après les législatives. Seule condition : il doit avoir présenté au moins cinquante candidats, et ceux-ci doivent avoir obtenu au moins 1% des voix dans leur circonscription.

Cette aide publique, versée chaque année, est divisée en deux « fractions » :

la première fraction revient directement au parti : celui-ci reçoit une aide calculée à partir du nombre de voix obtenues aux législatives par les candidats qui portaient son étiquette, et ce, que ces candidats aient été élus ou non ; la seconde fraction dépend, elle, du parlementaire : elle s’élève à environ 41 000 euros par député ou sénateur. Une fois élu, ce parlementaire doit choisir à quel parti il souhaite se « rattacher », c’est-à-dire celui qui touchera cette partie de l’aide. Les fillonistes peuvent choisir de ne se rattacher à aucun parti (dans ce cas, l’Etat ne versera rien à personne), rester rattachés à l’UMP (qui continuera donc à recevoir cette partie de l’aide publique)... ou choisir un autre parti que l’UMP !

C’est par exemple ce qu’avait fait discrètement Jean-Louis Borloo en février. Son parti, le Parti radical, avait décidé de quitter l’UMP – une première étape avant le regroupement des centristes dans ce qui deviendra l’Union des démocrates et indépendants (UDI).

Le problème ? Jean-Louis Borloo et ses amis n’avaient pas été élus sous l’étiquette de leur Parti radical, mais sous celle de l’UMP. C’est donc l’UMP qui touchait la première fraction de l’aide publique. Et les parlementaires borlooistes s’étant jusqu’ici rattachés à l’UMP, c’est aussi elle qui recevait la seconde fraction.

L’astuce ? Comme l’avait découvert Rue89, ils n’avaient eu qu’à changer de rattachement pour modifier le circuit financier. Sans publicité, ils s’étaient donc rattachés à un parti écologiste méconnu, Le Trèfle. C’est lui qui a reçu la seconde fraction de l’aide publique, avant de la reverser à Jean-Louis Borloo et ses parlementaires.

C’est un circuit financier similaire que les fillonistes devraient suivre pour siphonner cette partie de l’aide publique versée à l’UMP. Pour cela, ils vont devoir :

trouver un petit parti politique déjà existant, et compréhensif : c’est lui qui touchera l’aide, en toute légalité, et qui reversera ensuite les fonds à la structure que les fillonistes auront créée de leur côté ; se décider rapidement : tous les députés, de droite comme de gauche, ont jusqu’au 30 novembre – vendredi, donc – pour annoncer à quel parti ils souhaitent se rattacher – et, donc, à quel parti doit revenir la seconde partie de l’aide publique.

Petite nouveauté : jusqu’ici, le rattachement (financier) des députés à un parti se faisait en toute discrétion. Or, à partir de cette année, cette information sera publique : les fillonistes ne pourront donc pas prendre leur indépendance financière sans que cela se voie.