Friday, November 30, 2012

Marin du Vendée Globe virtuel, je suis tout le temps sur le qui-vive

« Mon bateau est près du Brésil. » Son téléphone grésille, quand il ne hache pas les mots. Jean-François Dedieu n’est pas en mer, mais chez lui, à Mayotte, devant son ordinateur. Comme près de 350 000 internautes, il participe depuis le 10 novembre au Vendée Globe virtuel, grâce au jeu « Virtual Regatta ».

La situation de Carabène, le bateau de Jean-François Dedieu, le 26 novembre à 16h30 (Capture d’écran)

Armel le Cleac’h devant Kerbisou

Armel Le Cleac’h, en tête du Vendée Globe, était à 19 571 miles de l’arrivée le 27 novembre à 07h00 GMT.

« Kerbisou », 4e sur Virtual Regatta mais premier de ceux ayant pris la même route que les vrais marins, était à 20 086 miles, ce qui le placerait en queue du premier peloton du Vendée Globe, juste derrière Jean Le Cam.

Ce jeu en ligne impose des conditions de navigation similaires – météo, puissance du bateau – à celles de la vraie course.

Un passe-temps qui rend certains nerveux, insomniaques et aussi « chtarbés » que les skippers, commente un participant, Tariec, sur Rue89 :

« Nous remettons en cause [...] notre boulot (beaucoup naviguent du bureau), notre vie de famille ( il faut apprendre à se décoller de l’écran, Madame peut l’avoir mauvaise très vite et trois mois c’est long).

Et notre santé à cause des insomnies liées aux changements de caps, de voiles en pleine nuit, du nombre de clopes fumées... »

« Moi, je n’ai pas encore disjoncté », plaisante Jean-François, jeune retraité, qui admet quand même être un peu accro. S’il s’interdit les nuits blanches, il surveille la progression de son voilier du matin au soir :

« Avant d’aller me coucher, j’écris tout ce que je dois faire le lendemain sur des post-it. Le moment où je dois changer de cap ou de voile par exemple. Mon avantage, c’est que je ne travaille plus. J’ai du temps. »

Entré dans la course tardivement, Rue89 Sport a rapidement décidé de mettre le cap sur un port marocain pour prendre un peu de repos. Après huit jours à quai, nous sommes repartis en mer, bien décidés à visiter l’Amérique du Sud.

C.G.

Jean-François Dedieu a déjà un peu navigué, écumé quelques bouquins sur les traversées en solitaire quand il avait 20 ans. Pour le jeu, ça aide. Il connaît le jargon et l’univers de la mer, même s’il n’est pas « un crack » et qu’un novice peut aussi s’en tirer.

Il a déjà disputé plusieurs courses (virtuelles), comme le Trophée Jules Verne ou la Cap Istanbul.

Pour son tour du monde, il se contente d’un bateau basique, appelé « Carabène ».

« Je n’ai que deux voiles et ça me suffit amplement. »

Il n’a souscrit aucune des options payantes – une vingtaine d’euros – que propose le site pour se faciliter la vie. Pas de voiles supplémentaires ni même de pilote automatique :

« J’en suis à me demander où l’on trouve son plaisir quand tout était automatisé. Rien ne vaut le stress et l’adrénaline du choix de la route à tracer. La sensation d’être dans la peau d’un vrai marin. »

Deux fois par jour, à 8h et 20h heure française, le site fait le point sur les conditions météorologiques, calquées sur des données réelles, pour permettre aux joueurs d’adapter leur stratégie.

Quand beaucoup utilisent des logiciels pour s’épargner des calculs trop complexes et surtout, trouver le meilleur itinéraire le plus vite possible, Jean-François, lui, préfère l’incertitude et les approximations. Pour faire plus vrai :

« Je trace une, deux ou trois possibilités de route avec un rapporteur, un double-décimètre et une calculatrice. »

Le 20 novembre, il a dégringolé au classement. Entre 3h30 et 6h du matin, il aurait dû changer de voile. Il dormait :

« J’ai perdu environ trois heures. C’est vrai que sans options pour nous aider et si l’on veut vraiment jouer les premiers rôles, il faut être tout le temps sur le qui-vive. »

Ses concurrents, ce sont « une toute petite minorité de voileux arrogants » et beaucoup de gens réservés et courtois, avec lesquels il vit son aventure en ligne.

« Le jeu m’a fait progresser d’un point de vue relationnel, j’ai développé une certaine forme de fraternité avec une cinquantaine de joueurs. »

Il ne s’attarde pas plus que ça sur le bug du 14 novembre, qui a planté le site pendant quelques heures. Si lui n’a pas vraiment été pénalisé, d’autres ont chuté au classement, comme Thomas, la quarantaine. Ce dernier décrit « une ambiance surréaliste » au moment de la panne sur l’une des pages Facebook consacrée à la Virtual Regatta.

« Certains parlaient comme dans une cour de recré de maternelle... C’est là que l’on voit que ça dépasse, pour certains, la dimension ludique. »

Jean-François regrette de ne pas pouvoir se faire de frayeurs virtuelles. Lors de la précédente édition, le jeu disposait d’une ambiance sonore :

« J’aimerais me coltiner des cumulonimbus et des vagues qui balaient le pont. »

A l’époque, il avait fait une erreur de novice, en ratant une porte des glaces [passage obligatoire dans les mers du sud, ndlr]. Alors, son arrivée aux Sables d’Olonnes n’avait pas été prise en compte. Cette fois, il espère finir son tour du monde. Il ne s’en tire pas trop mal. Entre vendredi et lundi soir, il a gagné 72 000 places :

« A l’heure où je vous parle, je suis 9000e [1700e même ce mardi à 16 h, ndlr]. “

Brigands, castagne et banquets : la saga chinoise qui renouvelle la BD

L’éditeur de bande dessinée franco-chinois Fei publie le grand roman classique « Au bord de l’eau » en version illustrée. La saga tient dans un très beau coffret de 30 volumes au format très particulier, qui se dévore comme un gros paquet de bonbons au goût inédit.

A gauche, le bonze tatoué Lu Zhi Shen. Extrait d’« Au bord de l’eau », dessiné par Zhao Hongben (tome 3, p. 106) (Editions Fei)

A gauche, le bonze tatoué Lu Zhi Shen. Extrait d’« Au bord de l’eau », dessiné par Zhao Hongben (tome 3, p. 107) (Editions Fei)

Trois bonnes raisons de ne pas rater cette version BD d’« Au bord de l’eau ».

« Au bord de l’eau » fait partie des « Quatre livres extraordinaires », soit les quatre grands romans classiques chinois, avec :

« Ces romans chinois, à l’origine, viennent de traditions orales et sont compilés et écrits par plusieurs rédacteurs », raconte le sinologue Jacques Pimpaneau :

« On sait que sous la dynastie des Song et à partir des XIIe, XIIIe siècle, il y avait des conteurs qui racontaient ces histoires-là. Il y avait même déjà à l’époque des bandes dessinées. Il n’y avait pas de bulles mais le nom des personnages et le titre de la scène et le passage concerné.

C’est seulement sous la dynastie des Ming que des gens ont eu l’idée d’en faire un roman publié. Vers les XIVe, XVe siècle. Il y a en eu plusieurs versions, en 70 chapitres, en 120 chapitres... »

Ce roman d’aventure ultrapopulaire en Chine raconte l’histoire d’amitié virile de 108 brigands (bien plus en fait). Rebelles aux politiques de l’époque, les justiciers prennent le maquis après avoir été condamnés pour des crimes commis au nom de la morale. Autour de leur chef Song Jiang gravitent le bonze tatoué Lu Zhi Shen – « personnage beaucoup plus populaire, et très chouette » –, le génial stratège Wu Yong et pas mal d’autres gros bras.

La saga multiplie les scènes de castagne, les bourses remplies au fil des rapines, les amitiés et les banquets nécessitant force abattage de moutons gras. La révolte contre la corruption du pouvoir fédère les 108 brigands.

L’histoire d’« Au bord de l’eau » est jalonnée d’interdictions, mais « comme énormément de livres censurés », précise Jacques Pimpaneau :

« Il suffit qu’il y ait des passages un peu olé olé, et c’était censuré à certaines époques, de la dynastie Ming à la Révolution culturelle. »

Extrait d’« Au bord de l’eau » , dessiné par Dai Dunbang (tome 9, p. 104) (Editions Fei)

Extrait d’« Au bord de l’eau » , dessiné par Dai Dunbang (tome 9, p. 105) (Editions Fei)

« Au bord de l’eau » a connu moult éditions en Chine, mais aussi des adaptations en séries télé. A la traduction française de référence (celle de Jacques Dars, en Pléiade et Folio), les éditions Fei ont préféré une nouvelle traduction, adaptée au format BD :

« Nous, nous avons décidé de travailler sur une traduction “ gourmandise ”, plus que sur une traduction littérale mot à mot. Par exemple, les 108 héros ont tous des noms incroyables. Il fallait réfléchir des heures pour trouver une traduction satisfaisante. »

Quelques exemples en vrac : la Vipère-d’une-toise, le Rat-en-plein-jour, l’Archiviste-au-visage-de-fer, l’Inflexible-commandeur astral, le Nezha-à-huit-bras.

Jusqu’à présent, l’amateur de BD occidental a eu peu d’occasion de feuilleter des bandes dessinées traditionnelles chinoises, et ces petits fascicules appelés « lianhuanhua » (prononcer « lian’rhouan’rhoua »). Le terme signifie littéralement « image enchaînée ».

« En France, on est plus habitué aux grandes bandes dessinées de taille A4 », raconte l’éditrice Xu Gei Fei :

« Là, il y a un seul dessin par page : on commence par lire le texte en bas et on passe ensuite aux bulles. A chaque fois, il y a un seul dessin. »

Le vrai lianhuanhua tel qu’on le découvre avec cette saga « est le livre du petit peuple ». Il arrive en Chine en 1910-1920 et devient très vite un phénomène éditorial de masse :

« Avec son format (10x14 cm) fait pour tenir dans la poche poitrine d’une chemise de travail, tout le monde en lit. Le format est bon marché, les tirages très importants. C’était vraiment l’art le plus populaire à l’époque. Beaucoup de romans populaires étaient adaptés. Les quatre grands romans classiques chinois ont suivi dans les années 50-70. Leur adaptation a correspondu à un grand projet national. »

Les « lianhuanhua » d’« Au bord de l’eau » en version originale (Aurélie Champagne/Rue89)

En 1949, en Chine, une conférence consultative populaire recommande de « prêter attention à la publication de livres et de journaux qui sont à la portée de tous et bénéfiques au peuple ». Des sociétés d’Etat essaiment un peu partout. Le marché est inondé de lianhuanhua (entre 1 000 et 2 000 titres par an) chantant les héros de la Révolution et la résistance contre le Japon. L’une d’elle s’appelle les éditions des Beaux Arts du peuple de Pékin :

« Nous, nous avons repris leur version d’“ Au bord de l’eau ” qui date des années 80-85. A cette époque, la Chine entière apprend avec la bande dessinée lianhuanhua : on avait “Star Wars”, Victor Hugo, “Tintin”, “Les Trois mousquetaires”, les grands classiques de la littérature russe. »

Les lianhuanhua ont rendu bien des services à la propagande maoïste. Ils ont aussi concentré la fine fleur des artistes peintres de l’époque. « Au bord de l’eau » regroupe 36 dessinateurs de générations et de styles différents. Certains sont des virtuoses au pinceau et l’on trouve de grands maîtres comme Zhao Hongben ou Dai Dunbang, qui dessine l’épisode de « La Taverne du lion » avec son fils.

« Certains vont du côté de l’art moderne, d’autres sont plus classiques », note l’éditrice :

« Personnellement, le dessin du tome 29, par Li Naiwei, j’y suis plus sensible. »

Extrait d’« Au bord de l’eau », dessiné par Li Naiwei (tome 29, p. 13) (Editions Fei)

A partir de 1985, le marché de l’art chinois est libéré et les maîtres du dessin sont autorisés à vendre leurs œuvres directement aux amateurs. La production de lianhuanhua, souvent moins rentable pour les artistes au plan financier, s’amenuise.

Le lianhuanhua a aujourd’hui son musée à Pékin mais le marché vit sur les rééditions. Ce que Xu Gei Fei déplore :

« Depuis les années 80, la bande dessinée chinoise n’est jamais officiellement sortie de la Chine. Les générations qui ont grandi avec ça ont aujourd’hui entre 50 et 70 ans. Mais les jeunes Chinois d’aujourd’hui ont plutôt grandi avec les mangas japonais, “ Naruto ”, “ Dragon Ball Z ”.

Donc on a en Chine un phénomène de coupure. A cause de ça, la bande dessinée est en train de disparaître et devient presque un objet de collectionneur. »

« La lecture d’’Au bord de l’eau » me fait penser à « Guerre et paix » [de Léon Tolstoï, ndlr] », sourit l’éditrice Xu Ge Fei :

« On a beaucoup de petites trames qui avancent en même temps, sans se précipiter vers une fin. C’est comme un maillage, il faut un peu de patience et de finesse pour entrer dans le texte. »

L’association de ce texte classique, du format particulier et du graphisme, le tout flanqué d’habitudes de lecture inédites, rendent la lecture presque expérimentale.

Il faut accepter de se laisser embarquer par l’imposante masse que représentent les trente lianhuanhua rassemblés en coffret. Dommage d’ailleurs que les petits livrets ne soient pas disponibles à l’unité, mais seulement en coffret (vendu 79 euros, ce qui peut paraître cher dans l’absolu mais reste ultraraisonnable vu l’objet).

Au final, la lecture d’’Au bord de l’eau », pour peu qu’elle vous saisisse, a quelque chose d’un peu magique et envoûtant. Elle impose un rythme très particulier au lecteur occidental. Le dessin y est pour beaucoup. Xu Gei Fei :

« De manière générale, la BD chinoise utilise beaucoup le vide dans toutes les planches. C’est aussi important que le plein, le dessin… Il n’y a pas cette peur du vide qu’on trouve souvent dans d’autres types de bande dessinée. »

Ivre, il fabrique un accessoire délirant pour le vin

En 2011, le marché du vin français à l’export a dépassé les dix milliards d’euros ; ce qui en fait le deuxième poste d’exportation du pays, après l’aéronautique mais devant les cosmétiques.

En fait, il y a tellement d’argent dans le vin – inégalement réparti, évidemment – qu’on peut voir n’importe quoi débarquer à tout moment. Comme ces accessoires, plus improbables ou inutiles les uns que les autres.

Créée en 2012 pour célébrer l’année du dragon, la carafe « Twenty Twleve » (alias « dragon ») coûte 365 euros – ça fait peut-être un chouïa cher l’écaille – et ressemble à une anguille lustrée au gloss rouge.

D’autres y voient plutôt une énorme langue... C’est le test de Rorschach version carafe à vin.

Lors de sa présentation à Hong-Kong, début novembre, elle a en tout cas trouvé un ambassadeur de luxe en la personne d’Alain Juppé, le maire de Bordeaux.

Il faut dire que Juppé, dès qu’il peut mouiller la chemise pour le vin, il y va franchement.

Et pour en revenir aux carafes, un « inventeur américain » a récemment assuré qu’un bon coup de mixeur était susceptible de les remplacer avantageusement, en turbo-aérant le vin... Le doute est permis.

Le verre en choco

C’est une idée de l’union interprofessionnelle du vin de Cahors : un verre à vin en véritable chocolat noir, « à croquer entre chaque gorgée ».

A base de malbec, le vin de Cahors – qu’on appelle parfois « black wine » – est censé, en effet, très bien s’accorder avec le chocolat noir.

Ces verres en chocolat, qui coûtent 10 euros pièce, sont d’ailleurs conçus et commercialisés, en séries limitées, à Cahors même (Lot).

Enfin, Mouton-Cadet, la célèbre marque de Bordeaux qui surfe sur son nom vaguement prestigieux pour vendre quelque 12 millions de bouteilles par an dans 150 pays, a décidé de se lancer à son tour dans les accessoires. Et elle commence fort, avec ce « centre de table » à 95 euros.

Et pour découvrir des douzaines, des centaines de gadgets du vin et autres accessoires étonnants, inutiles ou LOL, on consultera ce forum d’amateurs qui les recense un par un depuis près de cinq ans.

Notre-Dame des Landes, un échec programmé

La réalisation de l’aéroport de Notre-Dame des Landes aurait mérité un vrai débat national qui n’a pas eu lieu. Pour avoir participé à la concertation publique organisée par la commission nationale du débat public (CNDP) au début des années 2000, je ne peux que dénoncer un faux débat pour la bonne et simple raison que les termes de ce débat n’ont jamais été clairement posés.

La reprise du projet a fait suite à la nomination de Gilles de Robien au ministère des Transports. Elu picard, il avait mis fin à la création de l’aéroport de Chaulnes (aussi appelé à l’époque troisième aéroport parisien) dont l’autorisation avait été signé par Jean-Claude Gayssot avec, à l’époque, au gouvernement des Verts et un certain Jean-Luc Mélenchon.

Alors nouvel aéroport de Nantes, aéroport du Grand-Ouest, troisième aéroport de la région parisienne, le choix n’était pas clair, alors même que les conséquences qui s’attachent à l’une ou à l’autre de ces orientations sont évidemment profondément différentes.

A fortiori, alors que la lutte contre le mitage du territoire et la bétonisation des terres agricoles devient une priorité nationale et que l’argent public est plus que rare, le bien-fondé de cette infrastructure doit encore plus être interrogé. Et ce quelles que soient par ailleurs les décisions judiciaires rendues, qui le sont sur la base de décrets et arrêtés déjà anciens mais dont la légalité s’apprécie pour le juge administratif au jour où ils ont été signés – et non au jour du jugement, sauf en ce qui concerne la loi sur l’eau.

L’aéroport Notre-Dame-des-Landes est un excellent symbole des choix cornéliens qui doivent être faits aujourd’hui dans une optique de soutenabilité, alors même que l’urgence écologique et en particulier climatique va rendre très rapidement secondaire l’urgence économique et financière – dans la mesure où ce sont les vies humaines au sens premier du terme qui sont menacées.

Un tel sujet, à l’aube de 2013, mériterait un vrai débat national sur les bases d’aujourd’hui et non de celles d’il y a dix ans. Mais ce débat est en réalité impossible car l’épreuve de force qui s’est engagée sur place et la récupération de ce sujet majeur de société par l’extrême gauche – qui ne s’est intéressé que très récemment au sujet – ne permet pas au gouvernement de revenir en arrière.

La violence est devenue contre-productive pour ceux qui contestent sur le fond l’opportunité de cet aéroport. Devenu un abcès de fixation de la gauche de la gauche contre le gouvernement, un lieu de contestation de la société dans son ensemble, Notre-Dame-des-Landes ne peut être abandonnée pour des raisons qui ne sont plus en rapport avec le sujet lui-même, mais pour des raisons de positionnement du gouvernement à l’égard de mouvements contestataires extrémistes.

Sans doute, et il a eu raison, le gouvernement pour faire retomber la tension a-t-il arrêté les défrichements et nommé une mission, qui est davantage d’informations que de discussions, puisque l’affirmation de la réalisation de l’aéroport demeure.

Mais, il n’est pas certain que cela suffise à l’égard de tout ceux qui occupent Notre-Dame-des-Landes pour en découdre avec les forces de l’ordre et en toute hypothèse, cela ne change rien au fond du problème. En réalité, cette affaire illustre une double remise en cause :

celle de l’évaluation des coûts et des avantages d’un projet d’une part ; celle de la gouvernance lorsqu’il s’agit de décisions de transformation des territoires d’autre part.

Nous continuons à utiliser une comptabilité totalement dépassée et à faire des choix en contradiction avec les orientations que les gouvernements successifs affichent, car la décision de Notre-Dame-des-Landes est intervenue en plein Grenelle de l’environnement et elle est poursuivie par un gouvernement qui fait de la transition écologique une priorité.

D’autre part, le rapport au territoire est devenu pour de très nombreux concitoyens le dernier bastion qui les rattache à des racines et au sens de leur vie.

Il n’est donc plus possible de manière quasiment arbitraire, et sans adhésion des populations qui sont concernées, de procéder à des bouleversements aussi fondamentaux que celui qui se prépare à Notre-Dame-des-Landes. Dans ces conditions comment en sortir ? En inventant pour ce projet une modalité totalement nouvelle de prise de décision.

Cela impliquerait de la part du gouvernement qu’il accepte de geler cette décision, c’est-à-dire éventuellement de la remettre en cause, à l’issue du débat national, ou au moins régional, qui serait organisé.

Mais cela impliquerait également de la part des contestataires les plus durs, qu’ils renoncent à l’emploi de la violence et acceptent également par avance le choix final résultant de ce débat. Notre-Dame-des-Landes deviendrait alors le symbole d’une profonde transformation dans les choix collectifs faits par notre pays au lieu de rester le symbole d’un échec annoncé.

Au-delà de la contestation, je pense aux personnes vivant dans ces villages et aux agriculteurs qui aujourd’hui, sous les feux de la rampe et soutenus, resteront seuls quand ceux qui ont flairé l’opportunisme politique antigouvernemental partiront.

On a lu les CGU (si, si) et on vous raconte dans Rue89 avec les doigts

C’est un des miracles du commerce électronique : désormais, quand vous achetez un livre, un morceau de musique ou un film, il ne vous appartient plus.

D’accord, vous avez le droit de lire, d’écouter ou de visionner votre achat, mais en suivant les règles édictées par Apple, Amazon ou Google, les conditions générales d’utilisation (CGU).

Rue89 avec les doigts, notre revue pour tablettes, s’est penché sur cette grande régression des droits du consommateur culturel dans son septième numéro, qui vient de paraître. Et ce voyage au pays des clauses-en-petits-caractères-que-personne-ne-lit-jamais s’est révélé très instructif.

Cette nouvelle livraison vous fera aussi découvrir une série de sports injustement méconnus, pêchés parmi les récentes découvertes de l’équipe de Rue89 Sport. Il n’y a pas que le foot dans la vie : en quête de sensations et d’émotions différentes, beaucoup se tournent des disciplines à part, comme l’aïkido, le roller derby ou l’apnée.

Sommaire du numéro 4 de Rue89 avec les doigtsLe « chemin de fer » du numéro

Utilisez l’ascenseur pour le découvrir

A part ça, on vous explique les mystères que renferment les peintures d’Edward Hopper (dont l’expo au Grand Palais ne désemplit pas), on vous dit pourquoi la voiture (telle qu’on la connaît) est en voie de disparition, et on vous raconte comment notre reporter du dernier congrès du PS, à Toulouse, est entré dans la quatrième dimension.

Ce numéro de Rue89 avec les doigts est vendu au prix de 1,79 euro. Les numéros précédents sont eux à 0,89 euros.

Une offre donnant accès à tous les numéros parus et à paraître pour 0,89 euro par mois est aussi proposée – nous avons prévu de sortir six numéros par an, sans compter quelques surprises.

Il vous faut au préalable installer l’application, que vous trouverez via le Kiosque d’Apple ou directement dans l’App Store.

Au passage, si vous lisez ce texte sur iPad et si vous aimez cette revue, pensez à laisser une note et un petit commentaire, ça nous aide à la faire connaître.

Pour les possesseurs de tablettes Android, il faudra attendre encore avant d’user vos doigts sur ce magazine : l’outil qui nous sert à la fabriquer, PadCMS, mis au point par notre partenaire Adyax n’a pas encore été décliné sur ces supports.

Même les CRS en ont marre de Notre-Dame-des-Landes

« Aéroport Notre-Dame-des-Landes : maintenant ça suffit. » Les flics avec eux ? Pas tout à fait.

Le syndicat Unité-SGP Police (majoritaire chez les gardiens de la paix) publie un tract sur Facebook pour s’élever contre la désorganisation des opérations policières à Notre-Dame-des-Landes.

« Cette gestion au coup par coup va-t-elle durer jusqu’au décollage du premier avion prévu en 2017 ? » s’interroge la branche CRS du syndicat.

Tract d’Unité-SGP Police, le 27 novembre 2012 

Selon le tract, les CRS n’ont « aucune visibilité dans les durées des déplacements », courent « des risques accrus » et subissent « une fatigue importante », tandis qu’ils comptent désormais « plusieurs blessés dont un dans [nos] rangs ». Désormais, ça râle des deux côtés du cordon.

C’est la semaine de la confusion : lundi après-midi, une dizaine de gendarmes se sont déguisés en manifestants pour lancer l’assaut sur une barricade. Alors qu’un garde mobile, photographié par Rennes TV, arborait ce mardi un autocollant « Non à l’aéroport » sur la poitrine.

Thursday, November 29, 2012

Faire la guerre en RDC : j’ai trouvé le carnet d’un soldat

Carnet trouvé sur un champ de bataille vers Goma (Joao Durbek)

(De Goma, RDC) J’ai trouvé sur un champ de bataille vers Munigi, à une quinzaine de kilomètres au nord de Goma, capitale du Nord-Kivu (à l’est de la République démocratique du Congo), un carnet de notes.

Le document (il ne s’agit pas d’un manuel) appartient à un soldat de l’armée régulière – les Forces armées de la RDC, FARDC – qui l’a probablement perdu avec sa vie. Extraits.

Le carnet du soldat (Joao Durbek)

« Historique : auparavant, nos ancêtres utilisaient plusieurs moyens pour se défendre. Par exemple : pierre taillée, lance, couteau… Mais on a toujours évolué, c’est ainsi que nous avons l’arme AKA47.

Destination : l’arme AKA47 ou FA est une arme d’origine russe fabriqué par M. André Kalachninikov en 1947 [il s’agit en fait de Mikhaïl Kalachnikov, ndlr]. Beaucoup de pays du monde ont repris la fabrication sous licence tel que : la Chine, Corée, la RDC à Likasi (Gecamines). C’est une arme individuelle pour chaque combattant, avec une portée efficace de 200 m, pour éliminer les effectifs ennemis. Elle est munie d’une baïonnette pour le combat au corps à corps, si vous êtes dépourvu de munitions.

Données numériques :

Calibre : 7,62 mm ; Poids de l’arme avec chargeur garni : 3,800 kg ; Poids de l’arme avec chargeur non garni : 3,500 kg ; Vitesse initiale : 710 m/s ; Portée efficace : 200 m ; Portée maximum : 3 600 m ; Longueur de l’ame avec baïonnette : 110 cm ; Longueur de l’arme sans baïonnette : 87 cm ; Capacité du chargeur : vingt à trente cartouches. »
Extrait du carnet du soldat (Joao Durbek)

« Elle est la première qualité du militaire ; Elle définit l’obéissance et régit l’exercice de l’autorité ; Elle s’applique à tous sans distinction de rang ; Elle précise à chacun son devoir et aide à prévenir les défaillances ; Elle est la règle qui guide chacun dans l’accomplissement de devoirs. »

« Le mensonge, l’ivresse, la grossièreté, l’inobservation des règles relatives au manque de respect dû à un supérieur et aux honneurs à rendre, les brutalités et expressions blessantes à l’égard d’un inférieur, la négligence dans l’entretien des effets et des armes, l’inattention aux exercices, la négligence est le mauvais vouloir dans l’accomplissement des devoirs, le retard aux appels et rassemblement, l’absence aux appels, l’absence irrégulière de la garnison, du camp ou du cantonnement, la querelle, la dispute, le joue, l’inexécution ou l’exécution mauvaise ou incomplète des consignes ou des ordres reçus, la négligence dans l’exercice du commandement ou de fonction… »

Extrait du carnet du soldat (Joao Durbek)

« Réflexion : “ Un cavalier attentionné peut amener son cheval à une source, mais il ne lui est pas possible de boire à sa place. ”

Le commandant est donc l’ensemble de la PERSUASION (conviction) et des EXEMPLES.

C’est cette combinaison qui fait que les subalternes remplissent la volonté (ordre) de leur chef (commandant) si bien qu’ils ne veulent pas de cette mission. Cependant beaucoup de choses peuvent être faites (beaucoup d’ordres peuvent être exécutés) si le chef persuade, encourage et donne de beaux exemples à ses hommes.

Les qualités d’un commandant :

Le courage : un commandant (chef) doit être physiquement et mentalement courageux afin de surmonter ou confronter la peur pendant les temps durs (mauvais moment) et être un bon exemple devant ses hommes.La volonté (will power) : le commandant (chef) volontaire accepte toutes les difficultés, quelque soit la mission, qui lui arrivent et les affronter correctement afin d’atteindre son objectif.Sens de l’autorité : celui-ci est indispensable au commandant car il lui permet de pouvoir planifier des avant-plans bien avant afin de les exécuter à la longue, sans même attendre les ordres émanent de l’échelon supérieur (initiative et appréciation) et ceci pendant la période de guerre comme celle de la paix. Un chef est celui qui sait avoir de l’autorité et prendre ses responsabilités. Il est indispensable qu’il ait de l’imagination assez intelligente.La fidélité (intégrité) : la fidélité est l’ensemble de la vérité (sincerity), l’intégrité (n’est pas égoïste), l’obéissance (obéir aux ordres). Avec la combinaison de ces trois facteurs, vous serez un commandant très respectueux et même confiant à l’échelon supérieur et même de vos collègues commandants.

Conclusion : Le commandement est appris comme une leçon en classe mais aussi il s’apprend auprès des autres commandants (collègues) à partir de leur vécu quotidien (beaux exemples). »

Pépite : une chanson pour l’arrivée de Chirac à la tête de l’UDR

Nous sommes en mai 1975. Une famille lorraine compose et chante une ode à l’Union des démocrates pour la République (UDR), ancêtre de l’UMP, qui vient de se doter d’un nouveau « chef », en la personne de Jacques Chirac.

Les deux jeunes filles chantent à la guitare et leur père explique comment ils ont écrit paroles et musique.

« Finis les bavardages [...]
Plus de temps à perdreTous comme en 40
Il faut sauver la France. »

Jacques Chirac les en remercie dans le sujet.

« Un chant pour l’UDR composé par des Thionvilloises »

Le 24 mai 1975

Quelle sera la famille qui composera aujourd’hui un aussi beau chant à la gloire de l’UMP ?

Conflits d’intérêts : Transparency International s’inquiète du silence de l’Assemblée

Statut pénal du chef de l’Etat, limitation du cumul des mandats, et modernisation de la vie publique française, le rapport Jospin remis ce 9 novembre 2012 aura fait couler de l’encre, un peu, quelques jours, et puis il s’en est allé retrouver ses prédécesseurs  :

Le rapport Jospin sur «  la rénovation et la déontologie de la vie publique  » comportait un chapitre prometteur sur la prévention des conflits d’intérêts, très peu commentée par la classe politique.

Un silence dont s’inquiète Daniel Lebègue, cet ancien haut fonctionnaire, devenu président de l’association anti-corruption Transparency International France (TIF). Dans une tribune publiée ce 27 novembre, il regrette que «  rien – ou presque – n’ait été dit sur la prévention des conflits d’intérêts. Pourtant, le rapport formule un ensemble de propositions ambitieuses.  »

Il met en avant parmi les mesures proposées  :

« La publication de déclarations d’intérêts, un renforcement des incompatibilités pour les ministres et les parlementaires et la création d’une autorité indépendante chargée du contrôle et du développement des bonnes pratiques déontologiques.  »

Après de nombreux scandales impliquant de graves conflits d’intérêts (amiante, Médiator), les organes d’évaluation sanitaire ont réalisé un effort de prévention (obligation de déclaration personnelle d’intérêts, PDF) contre ces situations nuisibles à la transparence de la décision publique. Désormais, le débat sur la déontologie de la vie publique se porte d’avantage sur l’encadrement et l’incompatibilité de certaines pratiques avec les fonctions parlementaires.

Lors d’un colloque organisé le 25 octobre 2012 à l’Assemblée et intitulé «  Moralisation : quelle contribution peut apporter le Parlement ?  », Transparency France a invité Martin Hirsch à illustrer sa position contre les conflits d’intérêts au sein du parlement. L’ancien ministre a dénoncé sans ambages les règles «  absurdes  » de l’Assemblée  :

« Un parlementaire ne peut pas être maître de conférence à l’Université mais il peut donner des consultations d’avocat à des entreprises privées, sans avoir à divulguer le nom de ses clients. »

Une dénonciation qui ravive une vieille querelle entre Martin Hirsch et Jean-François Copé, qui cumulait jusqu’en novembre 2010 ses fonctions politiques avec un statut d’avocat chez le cabinet d’affaires Gide Loyrette Nouel, représentant de compagnies françaises et internationales. Un poste qui rapportait à M. Copé 200 000 euros d’honoraires par an, selon Capital.

L’Assemblée élue en juin 2012 compte toujours 38 avocats. En terme de représentativité professionnelle, ce sont les élus issus de la fonction publique qui tiennent le haut du tableau avec une majorité de 53% à l’Assemblée nationale d’après une note [PDF] du Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof).

Depuis plus de vingt ans, la modernisation de la vie publique et le besoin de renforcement de la transparence et de la déontologie sont au cœur du débat institutionnel français. Le vide juridique entourant la définition, la prévention et la sanction des conflits d’intérêts reste une constante de l’horizon politique national. Un laisser-faire qui maintient nos institutions dans une opacité des plus archaïques et dont les conséquences peuvent parfois conduire aux pires tragédies.

Ce manque de volonté politique n’est pas sans rappeler le débat parallèle sur le non-cumul des mandats également abordé par la Commission Jospin. En France, 82% des députés et 77% des sénateurs sont en situation de cumul. Une situation sans commune mesure en Europe où les cumulards représentent 3% au Royaume-Uni, 7% en Italie, 20% en Espagne, 24% en Allemagne d’après l’Ifrap. Dans une tribune publiée le 14 novembre 2012 sur Médiapart, trois députées PS estimaient que

« la représentation nationale n’est peut-être pas, étant juge et partie, la mieux à même de se prononcer sur une réforme la concernant ».

Pour Daniel Lebègue de Transparency International, il ne fait aucun doute que si les propositions du rapport Jospin venaient à être adoptées, en particulier celle sur la prévention des conflits d’intérêts, «  nous ferions, comme l’ont fait d’autres grandes démocraties, un pas de géant sur le chemin de la moralisation de la vie publique.  »

Il appelle de ses vœux à «  vaincre les résistances au changement  » pour mettre en place une réforme «  urgente  » afin de «  répondre à la crise de confiance des Français » et mettre un terme aux conflits d’intérêts les plus graves.

Encore une victoire de « Baby Schumi » : que retenir de la saison de Formule 1 ?

En mars dernier, au moment de la présentation de la saison de Formule 1 2012, qui s’est terminée ce dimanche sur le circuit d’Interlagos au Brésil par une course apocalyptique, nous étions loin d’imaginer que ce championnat serait le plus passionnant depuis bien des années.

Pas moins de huit vainqueurs différents cette saison avec en bout de ligne droite le couronnement du plus jeune triple champion du monde de l’histoire de la F1 et le départ de son icône la plus titrée.

Il y avait six champions du monde en titre engagés dans cette saison de F1 et les quatre premières places du classement sont occupées par l’un d’entre eux. La grande surprise de la saison, c’est Finlandais Kimi Räikkönen, troisième, de retour en F1 après deux saisons d’absence et un titre en 2007.

Il s’est permis le luxe de faire six podiums et de remporter le Grand Prix d’Abu Dhabi il y a trois semaines. Ni Jacques Villeneuve entre 2004 et 2006 ni même Michael Schumacher depuis 2010 n’auront réussi à s’imposer à nouveau après un retour en F1.

La surprise passée, il demeure que le grand vainqueur de cette saison est un très grand pilote. Pour trois petits points seulement, Sebastien Vettel rejoint Jack Brabham, Jackie Stewart, Niki Lauda, Nelson Piquet et Ayrton Senna au nombre de titres de champion du monde.

Sebastian Vettel à Sao Paulo le 25 novembre 2012 (Andre Penner/AP/SIPA)

Fernando Alonso rejoint, lui, Raymond Poulidor au nombre de titres de vice-champion.

De ces huit vainqueurs différents – Alonso, Vettel, Webber, Hamilton, Button, Räikkönen, Rosberg, Maldonado – on pourra dire qu’Alonso a été le grand acteur du début de saison avec une Ferrari complètement manquée sur le plan technique mais avec laquelle il remporta néanmoins trois succès flamboyants en Malaisie, à Valence et en Allemagne. Et si près au Brésil...

Vettel, lui, fut l’homme fort de la fin de saison. La Red Bull Renault de cette année n’était pas aussi performante que sa devancière, ce qui n’a pas empêché l’écurie autrichienne de se voir couronner une nouvelle fois au classement des constructeurs.

La montée en puissance du prodige allemand fut donc plus laborieuse qu’à l’accoutumée. Il aura surtout fallu une campagne estivale catastrophique d’Alonso pour que Vettel l’emporte finalement.

Ce dernier Grand Prix de la saison au Brésil a définitivement marqué le destin de deux champions. Le plus grand par les chiffres, Michael Schumacher – Ayrton Senna restant éternellement intouchable au titre honorifique du plus grand pilote de l’histoire de la Formule 1 – et son jeune compatriote, lancé comme une fusée à ses basques, Sebastien Vettel, surnommé « Baby Schumi ».

2012 marque la dernière saison en F1 du septuple champion allemand qui n’aura jamais pu retrouver sa valeur d’antan ; on frôla même le fiasco total cette année.

Et 2012 accentue encore un peu plus la sensationnelle ascension du tout nouveau triple champion du monde d’affilée.

Si Alonso a raté le titre cette année, c’est sûrement à cause de Romain Grosjean et du terrible carambolage qu’il a provoqué à Spa-Francorchamps au mois de juillet dernier.

Alonso perdait vingt-cinq points dès le premier virage d’une course qu’il aurait pu remporter et Grosjean s’attira les foudres de la Fédération internationale de l’automobile qui le sanctionna d’un GP de suspension pour ses départs calamiteux, celui de Spa n’étant pas le premier de la saison.

Malgré cela, la saison du jeune pilote Lotus fut bien meilleure que ses compatriotes, avec des tours passés en tête et quelques podiums.

Jean-Éric Vergne et Charles Pic, les deux autres Français du plateau, ont malgré tout fait honneur à leur rang. Vergne, pilote Toro Rosso, a su inscrire ses premiers points dès sa première saison en F1. Mais il devra faire beaucoup mieux en qualifications l’an prochain s’il veut pouvoir rester dans l’élite, voire même monter dans l’écurie numéro un de la famille Red Bull Racing à la place d’un Mark Webber vieillissant.

Charles Pic, lui, vient de s’assurer un volant chez Caterham pour 2013 grâce à une saison solide au volant d’une poubelle russe de chez Marussia. Même si ce transfert est dû à ses sponsors et au travail mené en coulisses par son manager Olivier Panis, le jeune Français a prouvé qu’il tenait la route.

La F1 a fait un retour réussi et remarqué aux Etats-Unis, à Austin (Texas) pour le Grand Prix des Amériques sur une piste flambant neuve. Le choc des cultures automobiles a dû être important pour tous les acteurs de la F1, là-bas en plein cœur de la Nascar ; le dernier GP sur le sol américain remontait à 2007.

Mais l’enthousiasme entourant l’événement depuis des mois et durant tout le week-end - la course a, en plus, été spectaculaire - laisse penser que ce Grand Prix au pays d’Obama est là pour longtemps. Une course dans le New-Jersey pourrait même voir le jour en alternance avec celle d’Austin dès l’an prochain.

Troisième pilote de l’écurie Marussia et seule femme-pilote engagée en Formule 1 cette saison, Maria de Villota ne prit jamais part à une séance d’essais libres. La faute à un drame invraisemblable qui arriva lors de ses premiers tours de roue, lors d’un simple test de mise en conformité de sa voiture.

Son véhicule lui échappa en pleine ligne droite et elle alla s’encastrer sous un semi-remorque de son équipe posté en bordure des stands. La pilote perdit un œil et fut plongée dans le coma pendant plusieurs jours. Une carrière de pilote de haut-niveau balayée au bout de quelques minutes seulement.

Maria de Villota lors de sa conférence de presse à Madrid le 11 octobre 2012 (Javier Soriano/AFP)

François Hollande président, nous attendions, sans illusion aucune – d’autant qu’il y a bien d’autres urgences – de voir comment allait évoluer le dossier de l’organisation d’un Grand Prix en France.

Au printemps, le gouvernement Fillon avait laissé entendre que les choses avançaient bien. Mais comme prévu, la nouvelle ministre des Sports, Valérie Fourneyron, a rapidement clarifié qu’aucune participation financière de l’État ne serait envisageable, renvoyant les acteurs du circuit du Castellet - dernier prétendant en lice - à l’utilisation exclusive de fonds privés pour la bonne organisation de l’évènement.

Autant dire que, malgré le nouveau rôle d’ambassadeur du projet dévolu à Alain Prost pour aller récolter de l’argent (au Qatar ? ), le Grand Prix de Monaco fera encore l’illusion d’un GP pour la France pendant un bon moment.

En 2013, La F1 aura un nouveau visage :

sans Schumacher ; sans bec de canard ; avec un Vettel prétendant au rang d’un Alain Prost avec quatre couronnes ; avec un Hamilton parti, lui, sur les bases d’un Jacques Villeneuve avec une carrière aux succès-éclairs et puis plus rien ; avec un Button revanchard et un Räikkönen regonflé à bloc ; avec surtout l’espoir renouvelé d’une saison de haut vol avant le retour aux moteurs turbo-compressés et l’incertitude la plus totale pour 2014.

Notre-Dame-des-Landes, une lutte « augmentée » par le numérique

Le conflit qui oppose un assemblage hétérogène d’organisations aussi diverses que la Confédération paysanne, Attac ou encore Greenpeace au projet aéroportuaire de Notre-Dame-des-Landes présente une spécificité que peu d’observateurs ont relevée jusqu’ici.

Une nouveauté qui ne tient pas au réseau dense et complexe de solidarités nouées à l’occasion de cette opposition au gouvernement, mais à l’arrivée, au sein de cette coalition hétéroclite, d’un acteur habitué jusqu’ici à des champs de bataille autrement plus conflictuels : Telecomix, une « non-organisation » qui dénote, par ses structures, son idéologie et sa gouvernance, avec les autres acteurs impliqués sur le terrain.

Telecomix, qui regroupe un assemblage hétérogène d’« hacktivistes » – contraction de « hacker » et d’« activiste » –, s’était illustré jusqu’en 2010 par son expertise juridique et ses actions de lobbying visant à la défense des « libertés numériques » auprès du parlement européen. Mais le groupe informel, souvent décrit comme une « ONG de hackers », proche du Parti pirate suédois et de WikiLeaks, s’est véritablement révélé à travers son soutien logistique et logiciel au printemps arabe.

Ouvert, sans hiérarchie, et fonctionnant sur un modèle entièrement décentralisé, Telecomix, depuis maintenant plus de deux ans, s’est fait une spécialité de venir en aide à des populations opprimées par des régimes autoritaires recourant à la violence pour imposer leur volonté, principalement au Maghreb et au Moyen-Orient.

La philosophie et le combat de Telecomix est – sur le papier – très simple : garantir la libre diffusion et le partage de l’information, quelle qu’elle soit, en particulier quand un régime politique s’oppose à sa libre circulation. Notre-Dame-des-Landes, qui n’aura percé dans les médias qu’à la suite de la très violente répression policière qui aura fait une centaine de blessés dans le camp des manifestants – un score digne d’une dictature – est ainsi devenu le tout dernier combat dans lequel Telecomix s’est engagé.

Dans la lignée d’opérations telles qu’« OpEgypt », qui avait permis de rétablir une connectivité internet dans une Egypte soumise au « blackout » par Hosni Moubarak, ou d’« OpSyria », qui consistait à mettre à la disposition de l’opposition syrienne des technologies de communication chiffrées et de coordination avancées, Telecomix a expérimenté à Notre-Dame-des-Landes différentes technologies visant à offrir à ceux qui s’opposent à l’installation d’un aéroport des outils numériques destinés à soutenir leurs actions.

Ainsi, un réseau internet sans fil « mesh » (maillé), résiliant et impossible à surveiller, est en cours de déploiement dans la « zone à défendre » (ZAD), le territoire occupé par les opposants.

Des services collaboratifs et sécurisés en ligne ont été mis en place afin d’optimiser les problématiques de logistique, de communication et de transport de l’ensemble des acteurs sur le terrain, des systèmes de surveillance et de suivi des actions et des déplacements des forces de l’ordre sont en cours de développement, ainsi que d’autres technologies avancées, mises au point lors du printemps arabe ou créées à l’occasion.

Mais les hacktivistes de Telecomix ont également recyclé un savoir-faire accumulé lors du printemps arabe en matière de dissémination et de maîtrise des flux informationels, improvisant une véritable agence de presse, similaire à celle mise en place dès le début du conflit syrien, qui est encore à ce jour le seul système en mesure d’assurer une protection à ses utilisateurs face aux systèmes de surveillance numérique étatiques contrôlés par Bachar el-Assad.

Les projets en cours de développement par Telecomix ne sont pas sans rappeler les dispositifs déployés lors des manifestations d’« Occupy Wall Street » :

mise à disposition de l’ensemble des opposants de connectivité internet gratuite et sécurisée, échappant à toute surveillance electronique ; centre de presse destiné aux médias internationaux et à la presse alternative ; initiation de la population locale aux techniques de chiffrement.

Bien sûr, les compétences en terme d’utilisation à des fins de résistance politique d’outils sociaux tels que Facebook et Twitter ont également été mises à profit. Des stratégies de guerre informationelle et de coordination tactique elles aussi mises au point en Tunisie, en Egypte et en Syrie.

Mais au-delà des actions et des initiatives de Telecomix, le phénomène le plus évident et le plus durable résultant de l’arrivée de hackers sur la scène de Notre-Dame-des-Landes reste, sans aucun doute, la mise en place de liens de solidarité et de coopération entre les mouvances du « hacking » et des organisations issues de luttes propres au XXe siècle. Des passerelles qui semblent à la fois profiter à l’efficacité des actions initiées par les différents acteurs de terrain, et qui inscrivent l’« hacktivisme » dans l’histoire des conflits sociaux propres au territoire français.

Au-delà d’une lutte ponctuelle, Notre-Dame-des-Landes marque probablement le début d’une mutation en profondeur des conflits sociaux à venir. Une mutation qui, comme beaucoup d’autres, passe par la maîtrise du numérique.

Vie privée : interpeller Facebook sur sa page perso, ça ne sert à rien

Depuis quelques jours, un étrange message viral se répand sur Facebook. Depuis les changements intervenus dans sa politique de confidentialité, de nombreux utilisateurs interpellent Facebook sur leur page, à propos de l’utilisation faite par le réseau social de leurs données personnelles.

Voici le message :

« A toute personne et/ou institution et/ou agent et/ou organisme de toute structure gouvernementale, publique ou privée au sujet de mes photos, et/ou des observations faites à mon propos, au sujet de mes photos ou de toutes les autres images ou informations postées sur mon profil par mes contacts (“amis”) Facebook.

Vous êtes avisés qu’il vous est strictement interdit de divulguer, copier, distribuer, diffuser les images ou informations qui apparaissent sur mon profil Facebook, que j’en sois l’auteur ou non. Cette interdiction s’applique également aux employés, agents, étudiants ou membres du personnel sous votre direction.

Le contenu de ce profil est privé ; les informations qu’il contient sont privilégiées et confidentielles ; le fait par moi de les poster sur mon profil ne signifie pas que je souhaite les rendre publiques, ou que je renonce à mes droits d’auteurs ou à tout autre droit à leur sujet, mais seulement et uniquement que je souhaite les porter à la connaissance de mes contacts (“amis”) Facebook. La violation de la vie privée est une infraction punissable par la loi.

Il vous est recommandé d’afficher un avis semblable à celui-ci (ou vous pouvez copier et coller cette version). Si vous ne publiez pas cette déclaration au moins une fois, alors vous autorisez implicitement et indirectement l’usage public des éléments tels que les photos et les informations contenues. »

Pour le docteur en droit et consultant spécialiste des données personnelles, Thiébaut Devergranne :

« La loi informatique et liberté prévoit des procédures spécifiques quand une personne veut s’opposer au traitement de ses données personnelles : elle doit s’adresser directement au responsable du traitement. »

Il est bel et bien possible de voir ses données personnelles supprimées, conformément à la loi informatique et liberté. Si cela n’est pas fait, la procédure relève du pénal.

Mais poster un simple message sur Facebook suffit-il à « s’adresser directement au responsable du traitement » ? « D’un point de vue juridique, j’ai de sérieux doutes », souligne Thiébaut Devergranne.

Cédric Manara, spécialiste du droit d’Internet et professeur à l’Edhec Business School, est plus définitif :

« Cela ne vaut rien, ce n’est pas une formule qui a une valeur juridique. »

Dans ces messages, on ne peut pas s’empêcher de voir un gros paradoxe : j’utilise Facebook mais je refuse que le réseau social utilise mes données !

Or, l’utilisation de Facebook porte acceptation de ses conditions générales d’utilisation, les textes qui font la loi sur les services en ligne, souligne Cédric Manara :

« Si une personne est inscrite et utilise Facebook, elle se soumet aux conditions générales d’utilisation. »

Citons la troisième ligne de celles de Facebook :

« En utilisant ou en accédant à Facebook, vous acceptez ces conditions d’utilisation. »

Sur la page dédiée aux données personnelles :

« Nous accorder l’autorisation [d’utiliser vos données, ndlr] ne nous permet pas seulement de vous proposer Facebook tel qu’il est aujourd’hui, mais aussi de vous offrir des fonctionnalités innovantes. [...]

Même si vous nous autorisez à utiliser l’information que nous recevons à propos de vous, vous êtes toujours propriétaire de cette dernière. »

La définition d’« utiliser » donnée par Facebook dans ses conditions d’utilisation est plutôt claire :

« Par “utiliser”, nous voulons dire utiliser, copier, représenter ou diffuser publiquement, modifier, traduire et créer des œuvres dérivées. »

Ce n’est pas la première fois que ce type de messages se répand sur les pages Facebook. C’était déjà arrivé, un peu avant l’été.

Comme le « bug » Facebook ou l’écho rencontré par le combat d’un jeune autrichien contre le réseau social, la viralité de ce message illustre bien l’inquiétude qui règne autour de l’utilisation par Facebook des données de ses utilisateurs.

Facebook a pris plusieurs actions en ce sens, notamment en simplifiant les modalités de contrôles des données personnelles.

Sous un certain angle, poster ce message n’est pas une perte de temps, selon Thiébaut Devergranne :

« Si demain des millions de personnes manifestent leur souci vis-à-vis de ce sujet, c’est un moyen de pression. Et à ce titre, c’est utile. »

Cédric Manara confirme :

« Il peut y avoir un effet politique. Je suis sûr que chez Facebook, on prend en compte cette protestation collective. Cela peut avoir un effet de sensibilisation. »

En attendant, le seul moyen d’empêcher Facebook d’utiliser vos données personnelles, c’est de supprimer votre compte, et c’est par ici.

Wednesday, November 28, 2012

NKM en guerre contre les « scènes de décapitation échangées dans les cours de récréation »

Nathalie Kosciusko-Morizet, à la fête de l’UMP Haute-Savoie, le 15 septembre 2012 (FAYOLLE PASCAL/SIPA)

Certains députés de droite, encouragés par Nathalie Kosciusko-Morizet, n’ont vraiment pas envie de lâcher l’affaire sur les sites internet « qui provoquent au terrorisme ».

Ils sont 64 à avoir déposé à cette fin un amendement au projet de loi antiterroriste débattu à l’Assemblée nationale ce mardi après son adoption par le Sénat.

L’amendement vise à punir la consultation de sites faisant l’apologie du terrorisme « lorsqu’ils comportent des images montrant [...] des atteintes volontaires à la vie ».

Tarif : deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. Seraient exemptés de poursuites les enquêteurs de police, chercheurs et journalistes.

L’idée de renforcer la législation antiterroriste date du gouvernement précédent, au lendemain de l’affaire Merah. Manuel Valls a poursuivi l’œuvre de son prédécesseur, afin de :

pénaliser les Français qui se rendraient à l’étranger pour se former au jihad ; pérenniser la surveillance administrative des données de connexion (Internet, géolocalisation, factures détaillées de téléphone), à but préventif.

Le « volet Internet » du projet de loi initial, qui prévoyait la possibilité de poursuivre ceux qui consulteraient régulièrement des sites faisant l’apologie du terrorisme a été abandonné par le gouvernement socialiste.

Les parlementaires de droite favorables à la création de ce nouveau délit tentent de l’imposer malgré tout. Même si les sénateurs UMP avaient échoué lors du vote du projet de loi, leurs homologues de l’Assemblée nationale insistent.

Nathalie Kosciusko-Morizet, fer de lance de cette disposition, avait annoncé dans Le Monde sa volonté de déposer un amendement. Elle l’a fait, mais son initiative a été rejetée en commission.

Le débat n’est pourtant pas clos, comme le montre le dépôt de ce nouvel amendement, qui resserre la question sur les contenus vidéo.

Lors de la discussion en commission des Lois, Nathalie Kosciusko-Morizet avait usé d’un exemple inattendu, celui d’une « de [ses] employées de mairie [NKM est maire de Longjumeau (Esssonne), ndlr] », « mariée pendant vingt ans à un homme qui s’est engagé dans un processus de radicalisation » :

« Elle a quatre fils, parmi lesquels les deux aînés, engagés dans le même processus, sont manifestement surveillés ; quant au troisième, il a 15 ans et subit l’influence de ses frères, qui vivent avec le père et lui donnent des adresses de sites internet montrant des scènes de décapitation, par des hommes munis de grands sabres noirs, sur fond de musique obsessionnelle.

Il consulte donc ces sites de manière habituelle et répétée. On peut toujours dire qu’il est mieux de le surveiller en attendant qu’il en fasse plus, mais le fait est qu’il est aujourd’hui en danger, et que l’on ne peut rien faire.

Vos arguments s’appliquent surtout à des jeunes d’une vingtaine d’années engagés dans un processus de radicalisation ; mais ces vidéos de décapitation s’échangent dans les cours de collège. »

C’est donc par le terrible exemple du fils de son employée de mairie que Nathalie Kosciusko-Morizet en est arrivée à cette conclusion : « Ces vidéos de décapitation s’échangent dans les cours de collège. »

Souvent ? NKM connaît-elle d’autres cas d’adolescents visionnant allégrement des têtes coupées au grand sabre noir ? A-t-elle des statistiques sur ce phénomène ? Non. Et les éventuels ados concernés se transforment-ils en jihadistes ?

En quelques semaines, on est passés des grands principes sur les sites faisant l’apologie du terrorisme à l’exemple médiocre d’un gamin qui montrerait une vidéo à un autre sur son portable.

Marie-Françoise Bechtel, rapporteuse du projet de loi, proposait alors à la député de l’Essonne de « plutôt poursuivre ceux qui mettent les vidéos en ligne ». Mais, lui opposait NKM, « les sites étant basés à l’étranger, il est difficile d’obtenir leur fermeture ou même leur blocage ». Elle insistait :

« Quoi qu’il en soit, la consultation habituelle de scènes de décapitation n’est pas un comportement normal : trouvons un moyen pour l’écrire dans la loi ! [...] Ces vidéos ignobles, je le répète, sont téléchargées en toute impunité et échangées dans les cours de récréation. [...]

La notion clé, pour éviter une annulation par le Conseil constitutionnel, est celle de proportionnalité entre les atteintes aux droits et libertés et les objectifs poursuivis. »

De guerre lasse, Manuel Valls se disait alors « personnellement disposé à envisager toute solution juridiquement acceptable, telle qu’une mesure provisoire faisant l’objet d’une évaluation, d’ici à l’examen en séance ».

Au-delà de l’opportunité de légiférer sur les vidéos de décapitation, plusieurs points restent encore en suspens :

Quel est le seuil de « consultation habituelle » de telles vidéos qui déclenchera les poursuites ? Comment bien cerner qui sera autorisé à les regarder ? Une liste noire de sites « faisant l’apologie du terrorisme » et pouvant être bloqués par voie administrative verra-t-elle quand même le jour, comme le proposent des députés dans un autre amendement ?

Musique : pour le père Culat, le metal « donne un supplément d’âme »

Ce dimanche, chapelle de la Mache, à Lyon. Un crucifix fatigué et deux saints en plâtre veillent sur le public qui s’installe sur les bancs de messe. Parmi les fidèles, des métalleux arborent fièrement le T-shirt de leur groupe préféré, une croix de Taizé autour du cou. Derrière eux, un mur d’amplis est posé sur une scène. Pas de doute, on est bien au débat entre chrétiens et fans de metal. Pour ce prêche d’un autre genre, c’est Robert Culat qui prend le micro, prêtre et expert de cette musique dite « du diable ».

Un métalleux audacieux porte un crucifix sur un T-shirt à l’effigie d’Immortal, groupe norvégien de black metal. (crédit : Stéphane Rabut)

Une coupe de cheveux quasi monastique, l’air de sortir du séminaire, un col romain bien visible, Robert Culat est un prêtre qui assume. Dans sa vie , il a deux amours : Dieu et le metal. A priori deux amours incompatibles. L’un prônant l’amour universel, l’autre ayant un penchant marqué pour l’anarchie, la mort, la destruction et le satanisme. Du point de vue d’un néophyte, le metal et ses dérivés sont une musique du mal. Image contre laquelle Robert Culat lutte, en se rappelant notamment la façon dont il est venu à cette musique, alors qu’il était aumônier dans les lycées :

« De ma vie, je n’avais jamais vu personne avec un look pareil : cheveux longs, tee-shirts noirs ornés de motifs morbides… Ces métalleux ne venaient pas me voir en curieux, ils étaient bel et bien catholiques. Cela a aiguisé ma curiosité et je me suis intéressé au genre. »

Une véritable épiphanie. Le metal devient vite une passion qu’il mène de front avec son ministère. Il écrit même l’un des livres de références sur la sociologie des métalleux : L’Âge du métal.

Organisée à l’initiative du diocèse de Lyon, la petite conférence s’est donc tenue devant une poignée de croyants tout à fait hermétiques à cette musique mais habitués à participer à chacune des activités proposée par la paroisse, et devant des métalleux catholiques, déjà convaincus pour leur part. Le diacre du diosèce de Lyon, Pierre Benoît, auteur de l’ouvrage Les Chrétiens et les musiques actuelles (vendu pour l’occasion dans la chapelle), a joué le rôle de modérateur. Dans le cycle de conférences sur l’Eglise et les Arts initié par le diocèse, le metal devait donc être dédiabolisé. En tout cas expliqué.

Robert Culas, prêtre et expert en metal (crédit : Stéphane Rabut)

Crise de foi

Oui, on peut être chrétien et fan de metal. Un postulat qui est loin d’être évident tant le genre musical véhicule des préjugés forts, entretenus grâce avec une imagerie travaillée : symboles sataniques, provocation antireligieuse, propos politiques… Le festival HellFest, qui est une référence mondiale en matière de grande réunion de métalleux, est régulièrement attaqué comme étant un « rassemblement de satanistes« , par des associations familiales catholiques comme Civitas, ou lors de prises de position virulentes par des politiques tels que Philippe de Villiers, Christine Boutin ou même François Fillon.

« Les catholiques devraient s’intéresser à des choses plus importantes que de vouloir interdire un festival de musique comme le Hellfest. C’est un événement payant : qu’on laisse les gens y aller. Si on suit la logique de ces opposants, l’église de Clisson (commune qui accueille le festival, ndlr) devrait être en ruine à l’heure actuelle », souligne avec humour Robert Culat.

Pour lui, le coupable ce n’est pas le metal, c’est le repli identitaire :

« Aujourd’hui, les catholiques sont de plus en plus minoritaires. Je ne parle pas des gens baptisés, je parle des pratiquants réguliers. Être catholique aujourd’hui nécessite une foi plus grande, plus forte. Ces extrémistes traduisent comme tous les fanatiques une incertitude de leur foi. On a l’impression de revenir au temps de Voltaire où il fallait défendre l’idée de tolérance. »

La conférence « Le metal et les chrétiens : des vibrations interdites? » à la salle de la Mache, ce dimanche 25 novembre.

« Le metal parle de la mort qu’on cache de plus en plus »

Tolérance, c’est justement le mot qui manque à l’Eglise quand il s’agit de metal. En 2010, le père Culat propose une présence chrétienne lors du Hellfest. Une idée accueillie positivement par le festival et complètement rejetée par l’évêque de Nantes. Robert Culat, qui se fait appeler « padre Bob » dans les forums sur le net, se rappelle la posture du curé de Clisson en levant les yeux au ciel :

« Il ne voyait qu’une solution pour les participants du Hellfest : faire des veillées de prières pour convertir les participants. »

Alors que le metal, selon lui, est bien davantage : une possibilité de se doter d’un « supplément d’âme’, rien de moins. « C’est d’abord de la musique et 99% des fans l’écoutent pour la musique et non pas pour les paroles ou le décorum qui l’entoure », estime padre Bob, qui en parle de façon enthousiaste:

« C’est une musique qui demande un effort. Elle est aussi élitiste que le jazz ou la musique classique. Actuellement, on est dans une société qui pousse à faire le moins d’efforts possible. On encourage le médiocre, le digérable. L’une des qualités du metal, c’est une culture très réaliste. Elle ne cherche pas à nous endormir, elle nous renvoie en pleine face la réalité de notre monde. Le metal parle de la mort qu’on cache de plus en plus, de la guerre… Certains vont vivre le metal comme une religion et ça leur donne un supplément d’âme. Le metal remplit une fonction que ne tient plus l’Eglise catholique. Ça doit interroger l’Eglise ! »

Prosélyte sur la question, le prêtre mélomane qui officie actuellement à Copenhague s’est lancé dans l’écriture d’un nouveau livre sur son groupe préféré : Opeth. Le groupe emprunte aux styles les plus brutaux à travers des chants gutturaux et des séquences instrumentales très agressives tout en distillant des séquences progressives mélodiques, très douces et envoûtantes.

Le débat, dans la chapelle de la Mache, qui s’est finalement transformé en plaidoyer pour le metal et en cours magistral sur les différents courants au sein du genre, s’est achevé sur un concert donné par Stamina. Sans doute pas le meilleur groupe de metal du monde, mais qui présente la particularité d’avoir un musicien organiste dans une d’église.

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Catégories : Société | Mots-clés : Concert, Cure, hard rock, Métal, Musique, Religion | Lien Permanent

La France pourrait voter pour l’Etat palestinien à l’ONU

Mahmoud Abbas et Ban Ki-moon à l’ONU, en 2011 (MARCO LONGARI/AFP)

Après la guerre bien réelle de Gaza, la semaine dernière, le champs de bataille se déplace cette semaine dans l’enceinte, plus feutrée, des Nations unies, où la Palestine tente de se faire admettre comme Etat non membre observateur.

Les manœuvres de dernière minute se poursuivent, avec l’opposition farouche d’Israël, soutenu par les Etats-Unis, pour empêcher un geste qualifié d’« unilatéral », et qui pourrait entraîner des représailles, notamment économiques, contre l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, à l’initiative de la démarche diplomatique.

Selon nos informations, la France pourrait voter en faveur de la reconnaissance de l’Etat palestinien, principal pays occidental à le faire... si François Hollande confirme le choix fait à ce stade, en attendant d’ultimes tractations avec Mahmoud Abbas.

La 59e proposition du programme électoral de François Hollande était, de fait, sans ambiguïté :

« Je soutiendrai la reconnaissance internationale de l’Etat palestinien. »

Mais la diplomatie française avait semblé faire marche arrière, et Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères, avait refusé de se prononcer, se contentant en septembre d’un propos flou : « C’est en fonction de ce qui va se passer que nous déterminerons notre position »...

Si la France confirmait jeudi son soutien à la résolution soumise à l’Assemblée générale, elle apporterait un soutien de poids à cet Etat virtuel dont la légitimité internationale ne peut se contenter des votes, acquis, des pays en développement et de puissances comme la Russie ou la Chine.

Israël fait une très violente campagne contre ce vote. Le ministre des Affaires étrangères, le très à droite Avigdor Liberman, a parlé de « terrorisme diplomatique », un concept novateur, pour faire le parallèle avec les missiles lancés par le Hamas contre le territoire israélien la semaine dernière.

Les Etats-Unis ont emboîté le pas à Israël, à la fois parce qu’ils critiquent l’unilatéralisme de la démarche de Mahmoud Abbas, et parce que la loi américaine les y oblige. Lorsque la Palestine a été admise à l’Unesco l’an dernier, déjà avec le soutien de la France, les Etats-Unis ont été contraints de stopper leur financement du budget de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture.

Pour Mahmoud Abbas, c’est un baroud d’honneur avant de couler. Le président de l’Autorité palestinienne n’a plus guère d’options : l’option diplomatique est sa dernière chance :

face à l’impossibilité de la négociation avec le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou ; alors que la colonisation se poursuit dans les territoires occupés de Cisjordanie et de Jérusalem-Est ; et alors que la stature de ses rivaux islamistes du Hamas sort renforcée à chaque affrontement guerrier.

La date du 29 novembre ne doit rien au hasard : c’est le jour anniversaire du vote des Nations unies, en 1947, qui vit naître l’Etat d’Israël.

Les conséquences sont largement symboliques -à l’exception de la possibilité de saisine de la justice internationale, une menace prise au sérieux par Israël-, mais au Proche-Orient, les symboles ont leur importance.

Dans une tribune publiée ce lundi par le New York Times, l’ancien président américain Jimmy Carter et l’ancienne première ministre norvégienne Gro Harlem Brundtland, tous deux membres du groupe des « Elders », d’anciens dirigeants cherchant à résoudre les conflits, plaident en faveur de la reconnaissance de cet Etat palestinien. C’est, pour eux, la dernière chance de sauver l’option des « deux Etats », l’un palestinien, l’autre israélien.

Dans une autre tribune du même journal, Yossi Beilin, l’ancien négociateur des accords de paix d’Oslo, en 1993, dont est issue l’Autorité palestinienne, plaide lui aussi dans le même sens, en y ajoutant une dimension : refuser cet Etat à Mahmoud Abbas, c’est faire le lit du Hamas, un mouvement qui, jusqu’ici, se refuse à reconnaître l’existence d’Israël.

Ce début de semaine est donc l’objet de toutes les manœuvres de coulisses, de toutes les pressions diplomatiques... Vu de Paris, ce sera un vrai test de la diplomatie française : François Hollande, dont l’une des propositions de campagne était justement la reconnaissance d’un Etat palestinien, sautera-t-il le pas en rompant avec les principaux pays occidentaux et Israël ?

Ludovic, 25 ans, chef d’entreprise de gauche, environ 750 euros par mois

Ludovic à son bureau, à Metz, en novembre 2012 (Martin Untersinger/Rue89)

(De Metz) Ludovic Mendes est un vrai mosellan. Il dit « ui » quand il est d’accord et « Tuitter » pour parler du réseau social. A 25 ans, il en est à sa « cinquième ou sixième boîte ». Mais la dernière, il l’a créée en janvier, et il en est le patron.

Il l’a installée dans la banlieue de Metz, au pied des tours, à quelques pâtés de maisons de là où il a grandi. Avant ça, il avait la bougeotte et n’était resté « qu’en moyenne un an et demi » dans ses précédents emplois.

Aujourd’hui, il fait du nettoyage écologique (pour les entreprises et les collectivités locales notamment). Pour lancer sa propre affaire, il a choisi de retourner vivre chez ses parents. Il nous a contactés pour montrer qu’on pouvait être un patron, de gauche, écolo, et que créer son entreprise, « c’est très compliqué ».

C’est vrai que Ludovic gagne peu d’argent : mais beaucoup de ses frais (téléphone et nourriture notamment) sont pris en charge par son entreprise.

Quelques mois après son lancement, il emploie déjà neuf salariés. La plupart sont ce que Ludovic appelle des « CDI précaires », à temps partiel. Cela s’explique du fait du secteur d’activité : les entreprises ou les administrations sont nettoyées en horaires décalés, de 5 heures à 9 heures, entre midi et 14 heures et de 17 heures à 22 heures.

Le métier est « essentiellement féminin » : « Il faut prendre en compte les enjeux familiaux » compte tenu de ces horaires, explique Ludovic. Pour lui, c’est ça être un « patron de gauche » :

« Si je ne l’étais pas, je serais moins souple envers mes salariés et plus centré sur le client. On s’arrange par exemple pour organiser les jours de congés. J’embauche aussi des personnes en situation de réinsertion. »

La cafetière à dosettes, « c’est la seule chose qui n’est pas écologique dans le bureau ». Jusqu’au courrier :

« On surprend : on répond aux appels d’offres sur du papier recyclé. Alors qu’ils reçoivent de nos concurrents des classeurs en plastique. »

Dans un secteur très gourmand en eau, Ludovic se vante de n’utiliser qu’un litre d’eau pour nettoyer 400 m2, contre entre huit à treize chez les concurrents, et de n’utiliser aucun dérivé pétrolier.

La question qu’il entend le plus souvent : mais, le nettoyage écologique, c’est plus cher ?

« Je facture à un prix équivalent à celui de mes concurrents. J’achète mes produits plus chers mais ils sont plus concentrés et je consomme moins, on s’y retrouve au final. De toute façon, chez moi comme chez les concurrents, la masse salariale représente 75% à 80% des coûts, et c’est une charge fixe. »

« L’écologie, ce n’est pas seulement mettre un label sur un site », résume-t-il.

Comme si diriger une petite entreprise n’était pas assez chronophage, Ludovic est également encarté au PS et membre du MJS. Il a fait la campagne de la primaire (pour Aubry) et la présidentielle « à fond ».

Etre chef d’entreprise, en réunion de section, ça coince ? Et avec les autres chefs d’entreprises ? :

« Cela crée des problèmes avec certains chefs d’entreprise, qui ne comprennent pas qu’on puisse être de gauche. Et pour certains camarades, je suis un social-traître ! Ces deux discours m’arrivent aux oreilles. »

Ludovic ne voit pas ça comme une grande difficulté :

« A droite, je dis que ce n’est pas parce qu’on crée de la richesse qu’on est libéral et les militants sont souvent des salariés ou des anciens salariés et ouvriers. ils connaissent le monde de l’entreprise. »

A droite comme à gauche, il regrette que la fonction d’entrepreneur ne soit pas plus valorisée :

« Certains pensent que si on est chef d’entreprise, c’est qu’on a de l’argent. On ne se rend pas compte du travail, c’est un souci de tous les jours. »

Forcément, je lui ai demandé ce qu’il avait pensé du mouvement des « pigeons », un groupe d’entrepreneurs qui a fait reculer le gouvernement sur certaines dispositions du projet de loi de finances 2013 :

« Il y a ceux qui vont être de “vrais” entrepreneurs, créer de la valeur de l’emploi, et ceux qui ont investi de l’argent simplement pour le récupérer. Les “geonpis” ont caricaturé la politique du gouvernement. »

Ludovic a choisi d’implanter son entreprise en zone franche, dans un quartier populaire en pleine reconstruction (quand je suis venu, le taxi ne reconnaissait rien : « Tout a changé ici ») :

« Il y a une raison militante : le quartier doit être redynamisé, il regorge de gens de talent ! »

Ludovic à Metz, en novembre 2012 (Martin Untersinger/Rue89)

Ludovic n’a pas assez de mots pour faire l’éloge du dynamisme et de la diversité de sa région (le Centre Pompidou de Metz, le nouveau Palais des congrès, des écoquartiers...).

A entendre son enthousiasme sortant tout droit d’une brochure touristique, à voir l’animation qui règne dans les multiples magasins de la rue Serpenoise, à entendre le ronflement des grosses voitures sur la chic avenue Foch, on en oublierait presque la violence de la crise économique qui touche la Moselle.

Seulement voilà : les grosses voitures qui patientent au feu rouge sont souvent immatriculées au Luxembourg, et Ludovic n’a qu’à regarder sur son bureau la pile de 60 CV dont certains affichent un bac+5 ou +6 pour se rappeler les fermetures d’usines et le chômage (en augmentation continue dans la région depuis 2008, comme un peu partout ailleurs).

Il se dit pourtant « optimiste » pour sa région :

« Elle est en train de se reconstruire, la ville est en plein changement. Quand j’étais jeune, les bars étaient vides. Aujourd’hui, ils sont plutôt pleins. »

Car oui, Ludovic a aussi le temps de fréquenter les bars messins. A vrai dire, certains ne tiendraient pas un mois au rythme de vie de Ludovic. En plus de son activité de chef d’entreprise et de militant, il joue au rugby (pilier dans l’équipe réserve de Metz, celle qui a formé Morgan Parra), fait parfois du badminton, fréquente une salle de sport, s’engage auprès de SOS Racisme et prévoit de créer une deuxième entreprise « pour être plus crédible auprès des banques ».

Ses journées ? « De 6h30 à 1 heure du matin. »

Les revenus de Ludovic

Salaire : autour de 700 euros par mois

Il se fait un virement de temps en temps, pour un total d’environ 700 euros par mois, quand son compte est trop dans le rouge.

Prise en charge de son abonnement téléphonique par son entreprise : 54 euros par mois Les dépenses fixes de Ludovic

Ludovic habite chez ses parents.

Mutuelle : 65 euros par moisRemboursement des dettes : 300 euros par mois

Ludovic a contracté deux emprunts auprès d’un établissement bancaire : un personnel et un autre pour créer son entreprise.

Impôt sur le revenu : 150 euros par mois

Ces impôts concernent ses revenus 2011, il n’en paiera pas pour 2012. Il ne paie pas de taxe foncière ni de taxe d’habitation, étant hébergé chez ses parents.

Assurance décès : 20 euros par moisAssurance responsabilité civile : 4 euros par moisFrais bancaires : 0 euro

Grâce à un compte créé quand il était étudiant, il ne paie pas de frais bancaires.

Les dépenses variables de Ludovic

Son entreprise paie son forfait.

Chez lui, ce sont ses parents qui paient. Son entreprise dispose d’un accès à Internet, qu’il utilise abondamment.

Ludovic se restaure fréquemment aux frais de son entreprise, et y mange souvent deux repas par jour.

Déplacements : environ 30 euros par mois

Ludovic se rend régulièrement dans des meetings du PS, et se paie quelques week-ends à Paris.

Santé : environ 20 euros par moisChien : 25 euros par moisCigarettes : 80 euros par mois

Ludovic est fumeur, mais s’approvisionne au Luxembourg tout proche, où les cigarettes sont moins chères.

Loisirs : environ 100 euros par mois

Ludovic trouve le temps de sortir dans des bars ou dans des boîtes avec ses amis de temps en temps. Mais depuis qu’il a créé son entreprise, il n’est pas parti en vacances.

Un virement automatique prélève 10 euros chaque mois et le verse sur son compte épargne.

Comme le montrent ses comptes, Ludovic finit le mois « à découvert ». Si auparavant, il arrivait à adapter ses dépenses pour retomber sur ses pieds, depuis août, son déficit se creuse :

« Je ne suis pas trop à plaindre, je n’ai pas d’enfant. Et créer une entreprise, ça peut être compliqué quand on n’a pas de parents derrière. »

Au pays du hollandisme merveilleux (la vie rêvée de Faouzi Lamdaoui)

Photo postée sur la page Facebook de Faouzi Lamdaoui

Quand les sondages sont cruels et la conjoncture désespérante, quand les journalistes sont féroces et Angela Merkel intransigeante, François Hollande peut, malgré tout, garder une raison d’espérer : qu’il regarde le monde à travers le compte Twitter et les deux pages Facebook de Faouzi Lamdaoui.

Il verra que, contrairement aux apparences, tout va bien.

Longtemps « couteau suisse » (copyright Malek Boutih) personnel de François Hollande – il s’occupait de ses rendez-vous chez le coiffeur, de ses costumes, de son agenda, servait éventuellement de chauffeur – Faouzi Lamdaoui, fidèle entre les fidèles, est aujourd’hui conseiller à l’Elysée, chargé de « l’Egalité » et de « la Diversité ». Mais il est bien plus que ça : il est le chantre béat du hollandisme.

Depuis l’élection de François Hollande, ce « nouveau chapitre, plein d’espérance », il conte, jour après jour, un merveilleux récit.

Comme tous les cœurs sensibles, il partage avec ses amis les moments qui l’émeuvent. Un jour (le 2 novembre), c’est un disque de Pavarotti dont la « sublime voix » le « transporte au sommet de la sensibilité ». Un autre (le 19 octobre), c’est une soirée passée à écouter « la voix sublime » de « la soprano libanaise Rima Tawil » à « la salle Beauvau » [sic].

Mais l’artiste qui le fait le plus vibrer s’appelle François Hollande. Ses discours sont forcément « grands » ou « historiques ».

Faouzi Lamdaoui est conscient que la France a la chance d’avoir un Président « cohérent et ambitieux » qui « montre la voie à suivre ». Qui sait « remettre les choses en place », « redonner confiance aux Français » et relève de « formidables défis ».

Un homme qui prend « ses responsabilités sans se défausser sur l’équipe gouvernementale, ou la crise structurelle ou la conjoncture internationale ». Qui « sort la gauche de ses dogmatismes » et « dépasse les antagonismes stériles ».

Et qui, lors de sa conférence de presse du 13 novembre, se montre « fidèle à son engagement, maître de son jugement, façonneur imperturbable du changement ». Délicieusement pravdaïesque.

Photo postée sur la page Facebook de Faouzi Lamdaoui

Pour détendre ses amis, il arrive à Faouzi Lamdaoui de tenter un trait d’humour.

Le 7 octobre, il poste le clip du « Petit pain au chocolat » de Joe Dassin et note :

« Petits déjeuners secs pour la droite en ce moment... »

Le 22 novembre, il ose un calembour :

« Malgré sa Cocoe et sa Conare, l’UMP ne sait comment gérer ses canards... »

Quand il manque d’inspiration, Lamdaoui joue à l’éphéméride :

« Le 31 juillet 1914, c’est Jean Jaurès qu’on assassine ! [...] Le père de la laïcité, de la liberté de conscience, de l’égalité en actes disparaît sous la balle fatale d’un fanatique d’extrême droite. »« Le 17 octobre 1961 a eu lieu, à Paris et en région parisienne, le massacre, ordonné par le préfet Maurice Papon, des Algériens rassemblés pour manifester pacifiquement contre le couvre-feu discriminatoire qui les frappait. »

Il se livre aussi à des revues de presse :

« Selon Le Nouvel Obs, la politique de François Hollande, prudente, méthodique, raisonnable, correspond aux systèmes philosophiques des deux sociologues Emile Durkheim et Max Weber, et des trois philosophes René Descartes, Aristote et John Locke. Aux esprits chagrins qui réduisent sa politique au pur pragmatisme, la preuve contraire est établie. » (2 août)

Oui, « la preuve ».

« Le titre du Monde, aujourd’hui, “François Hollande, le flegme d’un Président face à l’épreuve de la crise” définit bien la posture invariable du chef de l’Etat qui tient la barre, quoi qu’il arrive, dans la houle économique, le regard fixé sur le cap. » (31 octobre)

Quand les articles sont moins à son goût, Faouzi Lamdaoui monte au front et dénonce courageusement le but caché de ces « vagues de dénigrement » : « le dopage des ventes ».

Il cherche alors à s’éloigner de tant d’avilissement. Il récite deux vers du « Pont Mirabeau », se souvient qu’il « n’est d’esprit sain que dans un corps sain comme le disait si bien Michel de Montaigne ». Et contemple sa collec’ de photos.

Photo postée sur la page Facebook de Faouzi Lamdaoui

Zèle au travail : attention aux explications psychologiques

L’article d’Elsa Fayner sur les raisons qui poussent certains salariés à se surinvestir dans le travail – et parfois à craquer – soulève des questions intéressantes et permet de donner une vision moins caricaturale des salariés, trop souvent décrits comme des feignants qu’il faudrait fliquer et menacer pour en tirer quelque chose.

Toutefois, son analyse me semble faire la part trop belle aux explications psychologiques (besoin d’être aimé, masochisme, reproduction inconsciente du schéma familial, etc.). D’une certaine façon, cet article participe ainsi à l’infantilisation des travailleurs auxquelles tendent les pratiques managériales contemporaines et qu’Elsa Fayner critique par ailleurs.

Marc Loriol est sociologue, chargé de recherche au CNRS. Ses travaux portent sur le stress, la dépression et la fatigue en milieu professionnel.

Il a publié notamment « Au-delà du stress au travail », « Je stresse donc je suis » et « Le Temps de la fatigue ». Rue89

Dans mes recherches sur des ouvrières, des policiers, des infirmières, des travailleurs sociaux, des métiers culturels, comme dans celles de beaucoup d’autres observateurs du travail (chercheurs, syndicalistes, salariés), il n’est pas rare de rencontrer des salariés qui s’investissent dans leur métier au-delà de ce qu’impose leur fiche de poste ou leurs obligations contractuelles.

Si cela est parfois motivé par la peur de perdre son emploi qui pousserait à faire du zèle, on retrouve également souvent ce comportement chez des salariés en CDI ou des fonctionnaires qui ne sont pas particulièrement menacés par le chômage.

Si nous travaillons d’abord pour gagner notre vie (et nous payer ce dont la pub veut nous convaincre que nous avons besoin), la plupart des salariés cherchent également à donner du sens à leur engagement.

Le plaisir de faire une activité qui a du sens, d’être reconnu par les collègues, les clients ou les chefs, le don/contre-don qui construit du collectif – comme l’a montré l’anthropologue Marcel Mauss – sont aussi des sources de motivation non-négligeables.

Lors d’enquêtes par entretien semi-directifs auprès d’ouvriers et d’employés, plus de 90% déclaraient spontanément ne pas travailler seulement pour le salaire ou le statut.

Deux grands types de motivations intrinsèques (par opposition aux motivations extrinsèque comme les avantages, le salaire, etc.) étaient régulièrement cités :

tout d’abord, la satisfaction de faire un travail utile, de qualité, beau, dont on peut être fier, dans lequel on peut faire la preuve des ses compétences, de son intelligence, de son courage ou de sa force ; ensuite, le plaisir des contacts avec les collègues et éventuellement les clients ou les usagers, l’échange de coups de main, de plaisanteries, de points de vue, qui donnent le sentiment d’appartenir à une communauté partageant un certain nombre de valeurs ou d’objectifs en commun.

Plus que la psychologie du travailleur contemporain, ce qui me semble en cause ici a plutôt à voir avec les dysfonctionnements et les attaques des mécanismes de reconnaissance et de construction du sens dans le travail.

Car, malheureusement, les évolutions économiques, les transformations du travail et du management troublent et remettent en cause ces formes de construction collective du plaisir et de la fierté au travail.

Alors que pendant longtemps, travailler était pensé comme une façon d’apporter sa contribution à l’effort collectif, d’accomplir son devoir social en étant utile sans vivre « aux crochets des autres », celui qui a un emploi est de plus en plus considéré comme un « privilégié » qui doit s’écraser ou « prendre la porte ».

Dans ce contexte, il est plus difficile de donner du sens à son travail, d’en être fier.

Certaines évolutions sont particulièrement délétères. Tout d’abord la casse, volontaire ou non, des collectifs de travail (groupes informels de collègues, lieux de concertation ou d’échange comme les organisations de métier ou les syndicats, etc.) :

la mise en concurrence des salariés entre eux, les mobilités forcées et les restructurations qui éloignent des collègues ou des représentants syndicaux ; la multiplication des statuts (CDI, CDD, intérimaires) ; les politiques de recrutements en accordéon qui entravent l’intégration des différentes générations, etc. limitent la possibilité de construire des repères communs, des représentations partagées du travail et de ses contraintes, etc.

La possibilité de réaction collective pour dénoncer une situation inacceptable, par exemple soutenir un collègue agressé ou harcelé, s’amenuise du fait de la peur des représailles et de l’affaiblissement du sentiment d’appartenir à une même communauté de destin.

Ensuite, la chasse aux soi-disant « temps morts » (discussions autour de la machine à café, temps de transmission entre équipes, etc.) comme l’accélération et la rationalisation des rythmes de production, font que les temps et les lieux pour discuter ensemble du travail et de ses difficultés sont de plus en plus rares.

Parfois, le management tente de compenser à sa façon ce genre d’évolutions en remplaçant les temps de discussion spontanés et informels par des temps d’échanges plus formalisés (réunions de service, cercles de qualité) dans lesquels, aux microcultures d’atelier, l’on tente de substituer une « culture d’entreprise » fabriquée en haut et faisant moins directement sens pour les salariés.

Enfin, les formes quantitatives d’évaluation de l’activité à travers des indicateurs et des outils de gestion n’enregistrant qu’une partie du travail appauvrissent le sens du travail :

elle font apparaître comme un poids mort ceux qui se consacrent à des tâches indispensables à la réalisation du travail réel mais non enregistrées par les dispositifs comptables ; elles dissuadent l’engagement de soi dans la qualité, etc.

Ces dispositifs sont particulièrement utilisés quand la hiérarchie n’est pas issue des métiers qu’elle doit encadrer et ne possède pas la légitimité technique pour justifier ses décisions.

Les théories psychologiques du burn out ou épuisement professionnel évoquées dans l’article postulent que si un salarié s’investit trop, notamment émotionnellement, dans son travail, il risque d’épuiser ses réserves d’énergie, de motivation ou d’empathie pour ceux qui font un métier d’aide (infirmière, assistante sociales, etc.).

Afin de se protéger d’un épuisement total, il va donc peu à peu se désinvestir de son travail ou de la relation, jusqu’au cynisme ou la déshumanisation de l’usager, en le considérant comme une chose plutôt que comme une personne.

Ce faisant, il perd ce qui fait la richesse et l’intérêt de son métier, la fierté de faire un travail de qualité. C’est ce que les psychologues appellent la « perte d’accomplissement professionnel ».

Pour éviter cela, le salarié doit trouver la « juste distance » entre trop et trop peu d’investissement, trop et trop peu d’engagement. Mais qu’est-ce que ce « trop » ou ce « trop peu » ? Qu’est-ce que s’investir « suffisamment » pour être un bon salarié qui ne s’épuise pas mais peut continuer à être fier de son travail ?

On peut considérer cela comme une question de morale personnelle, mais l’observation de plusieurs univers de travail montre que ce « bon » niveau d’engagement dépend à largement du contexte, de l’organisation et des moyens disponibles, mais aussi de normes collectives validées par le groupe de travail.

Quand les collectifs de travail sont cassés et ne définissent plus les limites raisonnables, quand l’organisation impose des objectifs contradictoires (faire plus de qualité avec moins de temps et de moyens), quand le management demande des objectifs chiffrés toujours accrus sans liens avec le réel, il ne reste plus que deux solutions :

se désintéresser de son boulot au risque de perdre son estime de soi et son emploi ; ou prendre sur soi au risque de craquer et de décompenser.

L’aveuglement managérial, encouragé par les contraintes économiques (concurrence acharnée, recherche d’un rendement financier à courte vue, etc.) et des enjeux de pouvoir (contrôler des salariés dont l’activité est de plus en plus lointaine pour les directions) est d’autant plus inquiétant qu’il a une dimension autoréalisatrice : en décourageant les salariés de s’engager dans leur travail, ce mode de gestion crée du retrait, du désinvestissement, puis en tire argument pour justifier encore plus de contrôle, de management par la peur, de « reporting » incessant.

Plutôt que de voir le monde du travail actuel comme peuplé de « pervers narcissiques », « d’adulescents », de membres de la « génération Y », ou de « burn outés », ne serait-il pas plus intéressant d’ouvrir un débat social sur la qualité du travail, l’adéquation entre les fins et les moyens, l’évaluation collective de l’activité ?