Monday, December 10, 2012

Attaquer 10 000 comptes Twitter en justice, c’est possible à Londres

Le logo de Twitter

Poursuivre en justice 10 000 personnes ? Avant Internet, ça n’était sans doute pas possible.

C’est aujourd’hui ce que menace de faire Alistair McAlpine, un lord anglais. Un reportage de la BBC diffusé le 2 novembre accusait, sans le nommer, ce politicien britannique de premier plan de l’ère Thatcher d’avoir abusé d’enfants d’un orphelinat, sur la base d’un témoignage.

Il n’en a pas fallu davantage pour que des milliers d’utilisateurs de Twitter croient le reconnaître et le dénoncent avec force messages sur le réseau social.

Le principal témoin de la BBC s’est entre-temps rétracté et la BBC a versé à McAlpine près de 230 000 dollars dans le cadre de la diffamation (la législation britannique est réputée pour être particulièrement favorable aux plaignants).

Les avocats de McAlpine ont par ailleurs identifié « une vingtaine » de comptes Twitter disposant d’un nombre particulièrement important d’abonnés. Il va les attaquer en diffamation.

Dans ces comptes, certains appartiennent à des personnalités. Le New York Times en liste quelques-uns :

un comédien, Alan Davies ; George Monbiot, éditorialiste au Guardian ; Sally Bercow, la femme du président de la Chambre des communes.

Cette dernière a depuis clôturé son compte. Elle s’était préalablement excusée :

« Le mot de la fin sur McAlpine : je suis très désolée [...]. J’oublie que pour certains, je suis cette satanée madame la Présidente. »

Pour les autres comptes, les avocats de McAlpine ont innové. Les comptes disposant de moins 500 abonnés auront droit à un traitement spécial : un site internet. Là, ils peuvent tout simplement télécharger un formulaire et le remplir de leurs excuses.

Il leur est suggéré d’effectuer une donation à une œuvre caritative et de participer « aux frais administratifs ».

Certains comptes poursuivis par le politicien britannique n’ont fait que « retweeter » un message posté par un autre utilisateur, c’est-à-dire de le republier à l’identique.

D’autres, comme la femme du président de la Chambre des communes, n’ont désigné le lord que de manière très détournée. Son « tweet » :

« Pourquoil Lord McAlpine est soudainement populaire [“trending” en VO, ndlr] ? *visage innocent* »

Celui de l’éditorialiste au Guardian était de la même trempe :

« J’ai fait une recherche sur Lord McAlpine sur Internet. Ça dit des choses vraiment bizarres. »

Cette affaire met en lumière, une fois de plus, à quel point les lois sur la presse et la liberté d’expression sont inadaptées à Internet.

Est-on responsable du contenu que l’on partage à l’identique sur les réseaux ? Peut-on mettre sur le même plan un article de presse et un « tweet » ? Les réseaux sociaux sont-ils strictement publics ou privés ?

Paul Tweed, chroniqueur juridique sur le Guardian :

« L’identité de Lord McAlpine n’aurait sans doute pas été divulguée dans le passé, notamment à cause de la discipline imposée sur la presse par nos lois civiles sur la diffamation.

Le problème de la publication sur Internet est devenu si endémique et potentiellement si sérieux que la loi pénale prend le dessus comme le moyen le plus efficace pour contrôler, même de manière limitée, les abus en ligne les plus dangereux. »

En France, aussi, la question se pose. Notamment lorsqu’en octobre, le « hashtag » (mot-clé) #unbonjuif a fait son apparition.

L’Union des étudiants juifs de France vient justement d’assigner Twitter en référé afin d’identifier une soixantaine d’auteurs de tweets antisémites, préalable à toute poursuite. L’audience aura lieu en janvier.

En France, la liberté d’expression est protégée et limitée par la loi sur la liberté de la presse, qui date de 1881 (même si plusieurs articles ont été réécrits récemment). C’est donc cette loi qui s’applique sur Internet.

On pourrait penser qu’un tweet, techniquement accessible à tous, est donc public. Dans les faits, c’est un peu plus compliqué que ça.

Lors de l’affaire #unbonjuif, c’est ce que rappelait un article des Inrocks, qui déplorait « la judiciarisation du champ de la conversation » :

« Internet n’est qu’une grande conversation, qui a la particularité de se dérouler le plus souvent en public et sans aucune barrière à l’entrée (tout le monde peut y participer, même les plus jeunes).

Conséquence : des propos de cour de récré sont maintenant soumis au droit de la presse qui punit la diffamation, l’injure, la provocation à un délit, le racisme, l’antisémitisme ou l’homophobie. »